Mathieu Gallet, l’ascension brisée du PDG de Radio France

Le jeune PDG de Radio France, âgé de 41 ans, chute brutalement après une carrière météoritique menée tambour battant. Retour sur ce personnage de Balzac, à part dans le paysage des médias français.

 

Le couperet est tombé. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a annoncé mercredi 31 janvier avoir décidé de retirer son mandat au président de Radio France, Mathieu Gallet, à compter du 1er mars 2018. Une décision qui fait suite à la condamnation, le 15 janvier dernier, du jeune président de Radio France, âgé de 41 ans, à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende pour favoritisme dans le cadre de ses anciennes fonctions de président de l’INA (Institut national de l’audiovisuel). Le tribunal de Créteil a atténué les réquisitions du parquet. Ce dernier avait requis dix-huit mois de prison avec sursis et 40 000 euros d’amende le 16 novembre dernier. Au cœur du procès, de généreuses commandes (400 000 euros) passées à des sociétés de conseil, Roland Berger Strategy Consultants et les sociétés Balises et Opionion Way liées au communiquant Denis Pingaud. Des commandes passées en-dehors des règles qui s’appliquent aux marchés publics, selon le parquet. Les avocats de Mathieu Gallet avaient annoncé leur intention de faire appel.

« Le petit marquis »

La carrière météoritique du président de Radio France s’est imposée plusieurs fois dans l’actualité. Le « jeune homme », son surnom au sein des cabinets, ou le « petit marquis », le sobriquet qui vient à la bouche de ses critiques, a essuyé des tempêtes. L’affaire de son bureau restauré pour 104 000 euros – moquette et boiseries de palissandre  -, au sommet de la maison ronde, est arrivée au moment de la tourmente médiatique et de la grève la plus longue de l’histoire de Radio France. Attaqué par Le Canard enchaîné, enfoncé par la Cour des comptes sur cette affaire de bureau, il a finalement été blanchi par un rapport de l’inspection générale des Finances en avril 2015. Les dépenses étaient justifiées, a tranché l’organisme. « Pour moi, cela remet les choses au carré : on me rétablit dans ma vérité », lâchait-il à Challenges qui lui consacrait un portrait en décembre 2016. À l’époque, il ne confesse aucune erreur. « Mon âge, ma gueule, ça n’allait pas », dit-il. A-t-il songé à démissionner ? « Jamais. Ceux qui ont pensé cela me connaissent mal. » Sur lui, tout glisse. Il a passé l’épreuve du feu, les attaques se sont tues.

À l’époque, pour éteindre le mouvement, l’État a recapitalisé l’entreprise. Mais le jeune patron, dont on louait le dynamisme et la vision lors de son élection par le CSA, est condamné à la prudence et au statu quo. « L’incontestable réussite de France Inter porte l’image du groupe tout entier, estime un patron de radio rival. Mais la grève l’a contraint à abandonner toute réforme. » La grève a eu raison du point fort de son projet: la suppression de 250 à 330 postes via des départs volontaires pour générer jusqu’à 24 millions d’euros d’économies en 2017 et recouvrer l’équilibre.

De Villeneuve sur Lot au sommet de Radio France

Quel chemin parcouru par ce jeune provincial venu s’installer dans le fauteuil de Jacqueline Baudrier, Roland Faure, Jean-Paul Cluzel ou Jean-Marie Cavada, anciens présidents de Radio France ! Il a surmonté le déterminisme de ses origines – des ancêtres agriculteurs venus de Vénétie (on prononçait là-bas « Galett ») dans les années 1930 qui concrétisent leur ascension sociale en acquérant la maison du notaire de Monflanquin, entre Périgord et Agenais, dans les années 1960. La contrainte de la profession relativement modeste de ses parents, un agent commercial et une fonctionnaire.

Et celui de ses études dans cette ville radicale de 28 000 habitants – « j’étais un bon élève, régulier, toujours dans le trio de tête, mais pas à 18 sur 20, plutôt un élève à 15 », dit-il. De ses diplômes enfin, Sciences-Po Bordeaux couronné d’un DEA d’analyse économique des décisions politiques à la Sorbonne, devant lesquels tout haut fonctionnaire d’État pince le nez. Son parcours n’en est que plus méritoire.Ce garçon du Sud-Ouest, devenu à 33 ans PDG de l’INA – 1 000 salariés et 125 millions d’euros de budget -, et PDG de Radio France quatre ans plus tard -4 500 salariés et plus de 665 millions d’euros de budget -, a bâti une carrière fulgurante sur un goût de la culture, un charme irrésistible et quelques personnages-clés.

Lors de la préparation d’un mémoire sur l’Opéra national de Lyon, l’étudiant Gallet sympathise avec le patron Jean-Pierre Brossmann avant que ce dernier ne soit nommé au Châtelet à Paris en 1996. La naissance d’un réseau et d’un ancrage culturel auquel il demeurera fidèle. Il fera un autre mémoire sur le Châtelet, sous la houlette de l’économiste Pierre Kopp, qui trouve le sujet original.

Un carnet d’adresses bâti à Canal+

L’ambitieux Gallet étonne partout. Entré à Erato Disques, une filiale de Warner, sur la recommandation de l’IEP de Bordeaux, il est catapulté à la direction adjointe du marketing international à la fin de son stage. « Il était seul de son calibre, assure le président Didier Durand-Bancel. Il comprenait tout très vite, prenait des initiatives, proposait des améliorations, restait tard et cherchait à attirer l’attention sur la qualité de son travail. » Seule demi-ombre au tableau, ce côté « distant » qui lui coûtera cher. Même son de cloche à Pathé Distribution, où Gallet atterrit via une agence d’intérim à un humble poste de comptable. Christine Hayet, actuelle responsable des ventes, évoque un garçon « très travailleur », doublé d’un dandy « super-agréable » et « charmant ». Mais l’horizon est là aussi bouché.

Troisième impasse, son passage auprès du metteur en scène Robert Wilson, contacté par l’intermédiaire du mentor Jean-Pierre Brossmann, ne s’est « pas bien passé du tout », assure Gallet. « Il m’a fichu plus bas que terre en public, je ne l’ai pas supporté.

» Le provincial ardent se démène, jusqu’alors en vain, pour franchir le plafond de verre. C’est Canal+ qui va le lancer à l’assaut du pouvoir, lorsqu’il quitte le contrôle de gestion pour un poste de lobbyiste qui se dégage en interne. Gallet fait merveille auprès d’Olivier Zegna Rata, alors directeur des relations extérieures du groupe Canal+. Zegna Rata l’a, depuis, rejoint à Radio France. « Il s’occupait du placement des VIP dans les soirées Canal », persifle un ancien conseiller politique.

En attendant, c’est là qu’il épaissit son carnet d’adresses dans les milieux culturels, patronaux et politiques. Là qu’il croise les grands de ce monde : le président de Canal+, Bertrand Meheut ; son directeur de cabinet, Alexandre Bompard, devenu patron de la FNAC ; Jean-Bernard Lévy et Jean-François Dubos, les patrons de la maison mère Vivendi et de ses filiales, comme Universal Music. Pascal Nègre, le PDG d’Universal Music France aujourd’hui à RFM, côtoie dans les réunions « ce garçon brillant, bosseur, précis, très réservé mais avec beaucoup d’humour, extrêmement cultivé et sympa », dit-il. Le jeune homme de Villeneuve-sur-Lot séduit l’élite.

Dès lors, Gallet va vite. Quand François Loos, ministre délégué à l’Industrie (2005-2007), explique à Jean-Bernard Lévy qu’il cherche un collaborateur venu des « contenus » ou des médias, le patron de Vivendi glisse le nom de son lobbyiste.

Techniquement irréprochable

En 2006, Gallet devient conseiller technique chargé de l’audiovisuel et des nouvelles technologies auprès de Loos. Lorsque la ministre de la Culture, Christine Albanel, recrute un conseiller audiovisuel, Gallet convainc sans peine le directeur de cabinet, Christophe Tardieu. « Il avait un excellent carnet d’adresses, connaissait très bien les médias, pas toujours les patrons, mais il montait quand même assez haut dans les chaînes et les sociétés de production », explique Tardieu. Techniquement irréprochable, toujours prêt à temps, parfait dans les réceptions, maîtrisant les arcanes des médias publics ou des lois en cours (France Télévisions, Hadopi…), Gallet est pour Tardieu le « conseiller idéal ». Il n’a qu’un menu défaut: « Il est moins à l’aise dans les discussions avec les syndicats. » Mais les syndicats ne nomment personne…

La séduction Gallet va le mener jusqu’au sommet. Subjugué, Frédéric Mitterrand, qui a remplacé Albanel Rue de Valois écrit dans La Récréation : « Tancrède n’est pas seulement beau et remarquablement intelligent, il est aussi jeune, cultivé, bien élevé, travailleur plein de vaillance et encore très ambitieux. » Tancrède, alias Mathieu Gallet. Lorsque Mitterrand demande à son jeune conseiller s’il a quelques noms pour la présidence de l’INA, vacante, Gallet force le destin et propose le sien.

« Il n’a pas peur de grand-chose ou de grand monde, note son ami l’éditeur Jean- Luc Barré, originaire comme lui de Villeneuve-sur-Lot. C’est un conquérant doué, habile, qui s’appuie sur la compétence. Il y a chez lui une part d’audace et de culot, le goût du pouvoir et la passion de construire. On est frappé par sa force de caractère et sa confiance en lui. » Frédéric Mitterrand fera de cette étrange nomination un combat personnel. Il aurait été jusqu’à solliciter Patrick Buisson, dont le coup de pouce auprès de Nicolas Sarkozy aurait été décisif.

Coupé de la base

Quatre ans plus tard, le jeune PDG de l’INA sent qu’il a sa chance à Radio France, où le CSA se prépare à désigner le successeur de Jean-Luc Hees. Là encore, sa parfaite connaissance du dossier, son travail de préparation et de réseau, ce ton jovial frisant l’insolence face au CSA, sa connaissance du public, du privé, des médias, de la musique – c’est un mélomane qui goûte plus que tout Beethoven, Wagner ou Strauss -, emportent tout. Il est choisi à l’unanimité des sages. Gallet a séduit tous azimuts mais, paradoxalement, le Rastignac du sud-ouest accusé par les salariés de gouverner via un « cabinet noir » coupé de la base, bute sur le social.

« C’est simple, on ne le voit jamais, constate un journaliste non syndiqué de Radio France. Sauf en coup de vent lorsqu’il entre dans sa voiture ou sort de l’ascenseur ». Le contraire de ses prédécesseurs ? « Hees allait dans les rédactions, Cavada communiquait beaucoup, Cluzel faisait le service minimum, lui reste froid et distant », poursuit ce journaliste.

Même son de cloche chez les élus. Leurs mots sont durs. « Chez ses prédécesseurs, le projet individuel passait par le destin de la maison ronde, explique Jean-Paul Quennesson, le délégué SUD-Radio France, figure des grèves de 2015. Mathieu Gallet, c’est une ambition personnelle brute doublée d’une impuissance totale à être en empathie avec ses équipes et son encadrement. C’est l’ambitieux de passage ». Prémonitoire.