LES INCITATIONS fiscales ne sont guère décisives pour attirer des investissements vers le secteur des ressources naturelles. Les entreprises minières prennent plutôt la décision d’investir en fonction de la qualité des ressources, de facteurs économiques tels que l’emplacement (coût des transports et parcours pour l’exportation), de la facilité de l’extraction et des perspectives des prix de vente, et du climat politique dans le pays hôte (protection des contrats, régime fiscal, infrastructures, stabilité politique, main-d’œuvre et sécurité – IGF et OCDE, 2018). Les multinationales opérant dans le secteur des ressources naturelles négocient souvent des avantages fiscaux dans leurs contrats. Bien souvent, la faiblesse des systèmes de gouvernance et le manque de consultation entre les organes concernés aboutissent à des incitations fiscales trop généreuses qui réduisent les recettes (Union africaine et CEA, 2014) [Voir CEA, UA et AMDC (2017), qui fait de la géologie le critère décisif pour les investisseurs, en mettant surtout l’accent sur la qualité des minerais].
Clauses de stabilité
La certitude fiscale encourage les investissements en permettant aux investisseurs potentiels d’évaluer correctement les coûts des impôts et de la mise en conformité associés à leurs investissements sur toute leur durée. Elle peut aider à concilier les attentes des contribuables et des gouvernements tout en offrant un environnement fiscal favorable aux investissements directs étrangers (IDE) et à la croissance. Le Congo, la Guinée équatoriale et Sao Tomé-et-Principe ont reçu plus d’IDE dans leurs secteurs des ressources naturelles en partie du fait de la plus grande certitude fiscale dans leurs secteurs extractifs par rapport à d’autres pays de la région (OCDE, 2018a).
La certitude fiscale est consolidée par les clauses de stabilité dans les contrats, clauses conçues pour éviter des changements excessifs des codes fiscaux. Mais ces clauses de stabilité risquent aussi de compromettre la perception des recettes, puisqu’elles empêchent les gouvernements hôtes de renégocier les contrats pour tenir compte de l’amélioration des régimes fiscaux ou pour tirer parti d’une hausse des cours des produits de base. Les multinationales sont souvent avantagées par l’asymétrie informationnelle, leur expertise technique et leur pouvoir de négociation, ce qui peut se traduire par des contrats qui leur profitent indûment tout en réduisant les recettes des États (UA et CEA, 2014 ; CEA, 2018a).
Par exemple, en République démocratique du Congo, l’Article 276 du Code minier de 2002 contenait une clause de stabilité qui empêchait que les règles sur les prix de transfert promulguées après que les contrats aient été négociés s’appliquent à des transactions éventuellement mal évaluées. De ce fait, les règles sur les prix de transfert ne pouvaient s’appliquer aux contrats miniers en vigueur que 10 ans après leur mise en œuvre (CEA, CUA et AMDC, 2017).
La Tanzanie a aussi subi les conséquences néfastes des clauses de stabilité. Selon l’Article 10(4a) de la Loi tanzanienne sur les exploitations minières de 2010, les accords sur les exploitations minières peuvent contenir des dispositions contraignantes qui « garantissent, en vertu des lois applicables à la date d’entrée en vigueur de l’accord, la stabilité fiscale d’un projet minier de longue durée pour ce qui est de la portée et des taux des redevances, droits et charges et de la façon dont les montants dus en conséquence sont calculés.
À cette fin et seulement à cette fin, ils peuvent aussi contenir des dispositions spéciales relatives au paiement de tout impôt qui entrerait en vigueur en cas de changement de la loi applicable ». Suite à un contentieux fiscal entre Acacia Mining et le Gouvernement tanzanien, le tribunal chargé des recours en matière de fiscalité a statué que l’entreprise, une filiale de Barrick Gold, avait utilisé un stratagème complexe d’évasion fiscale à l’aide de manipulations des prix de transfert et des pertes.
Le tribunal a ordonné à l’entreprise de verser au gouvernement 41,25 millions de dollars d’impôts impayés sur quatre ans. Dans le cadre de sa défense, Acacia avait soutenu (en vain) que son contrat avec le gouvernement prévoyait la déduction de ses 3 milliards de dollars d’investissements dans ses trois mines en Tanzanie, ce qui expliquait pourquoi elle n’avait jamais déclaré de bénéfices (CEA, CUA et AMDC, 2017 : 67).
Les clauses de stabilité devraient bénéficier à toutes les parties, en plus de maintenir l’équilibre économique en cas de changements de la conjoncture économique. Elles doivent aussi protéger les intérêts de l’État en cas de changement de la situation fiscale résultant du non-respect des exigences réglementaires – par exemple si des sanctions économiques doivent être imposées en raison d’une dégradation de l’environnement due aux opérations d’une entreprise (Oshionebo, 2010).
« En République démocratique du Congo, l’Article 276 du Code minier de 2002 contenait une clause de stabilité qui empêchait que les règles sur les prix de transfert promulguées après que les contrats aient été négociés, s’appliquent à des transactions éventuellement mal évaluées. »
La transparence est souvent absente, ce qui favorise la cupidité des fonctionnaires, l’évasion et la fraude fiscales
La transparence fiscale est un pilier de la bonne gestion des ressources naturelles. Selon le FMI, la transparence sur les conditions fiscales et les contrats des industries extractives, notamment pétrolières, sur la collecte des revenus et leur utilisation ultime dans le budget est essentielle pour inspirer confiance au grand public. La transparence interne basée sur le partage d’informations entre les organes gouvernementaux est aussi indispensable pour une bonne gestion fiscale (FMI, 2018). Le Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique cite la remarque du Juge Louis Brandeis de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique, selon qui « le meilleur désinfectant n’est autre que la lumière du jour » (Union africaine et CEA, 2014 : 45).
Le Groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique et d’autres recommandent une amélioration de la transparence fiscale, l’expansion des réseaux de partage d’informations, la participation à des échanges automatiques de renseignements entre les pays et la mise à disposition assurée d’informations relatives aux propriétaires pour réduire les flux financiers illicites (CEA, 2018b ; Mullins, 2010)11. Le mouvement émergent en faveur d’une plus grande transparence fiscale pourrait bien changer la façon dont les sociétés multinationales conduisent leurs opérations.
Pour faciliter la détection de la planification fiscale agressive, l’OCDE a approuvé en juillet 2014 une nouvelle norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale qui invite les juridictions à obtenir des renseignements auprès de leurs institutions financières et à les échanger automatiquement avec d’autres juridictions. La Norme a pour but d’appuyer les efforts internationaux en vue d’accroître la transparence, la coopération et la responsabilité des institutions financières et administrations fiscales pour permettre aux gouvernements de recouvrer les recettes fiscales qui se perdent lorsque des contribuables ne respectent pas la loi. Cette nouvelle norme devrait susciter des bénéfices secondaires sous forme d’une augmentation des divulgations volontaires d’avoirs dissimulés, en encouragent les contribuables à déclarer toutes les informations pertinentes (OCDE, non daté b).
Cette norme commune de déclaration peut aider les administrations fiscales à mettre un frein à la dissimulation par les entreprises des informations au sujet de fonds extraterritoriaux non déclarés. La mise en application de cette norme internationale d’échange de renseignements pourrait aider les pays d’Afrique à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et contre les flux financiers illicites (Owens et McDonnell, 2018).
*Extraits du Rapport économique 2019, publiés dans l’édition BEF 217.