Non, le revenu universel ne décourage pas le travail

De diverses expériences menées dans le monde, il en ressort que la plupart de ceux qui ont droit au revenu de base continuent de travailler.

Benoît Hamon a remporté la primaire de gauche. Le revenu universel d’existence est l’une de ses propositions phares : tout le monde devrait pouvoir compter sur au moins 750 euros par mois. Contre ses adversaires, le candidat socialiste soutient que la mesure ne découragera pas le travail. Vous pensez peut-être que cela ne peut pas être vrai. Pourquoi travailler si on peut survivre sans ? Pourtant, mes recherches et celle de mes collègues économistes donnent globalement raison à Benoît Hamon : même si, dans certains cas, le revenu universel d’existence diminue le nombre d’heures travaillées, cet effet est infime.

Dans les années 70, le revenu d’existence universel avait le vent en poupe parmi les économistes sous le nom d’impôt négatif. En effet, les économistes pensaient qu’un revenu d’existence universel pourrait avoir moins d’effets néfastes sur le travail que l’aide sociale déjà existante. Le problème de beaucoup d’aides comme le RSA est que, pour chaque euro qu’on gagne en travaillant, l’aide sociale diminue d’un euro. Supposons que quelqu’un ne travaille pas et touche 750 euros d’aides. S’il commence un petit boulot pour 100 euros par mois, son revenu via l’aide diminue d’autant, donc il se retrouve à la fin des fins avec 750 euros par mois, comme s’il n’avait pas travaillé. Quel intérêt de travailler alors ? Avec un système d’impôt négatif, ce que l’on gagne en travaillant s’ajoute à l’aide sociale qui ne diminue que très peu : par exemple, pour chaque euro gagné, l’aide sociale pourrait diminuer de 0,5 euros. Le résultat ? Si on commence un job à 100 euros par mois, on augmente nettement son revenu, qui passe à 800 euros. Plus les aides sociales sont maintenues quand on travaille, plus on est encouragé à travailler.

Dans les années 70, les Etats-Unis et le Canada ont lancé des expériences dans plusieurs villes pour mesurer l’impact d’une telle politique sur le travail. Elles ont montré que le revenu universel ne décourageait pas le travail, sauf dans certains cas (1) : pour un revenu universel d’existence de l’ordre de 750 euros par mois, certains ont diminué leur temps de travail de moins d’une heure par jour !

Une autre manière de comprendre l’effet du revenu universel d’existence sur le travail vient du loto. Et oui, surprenant, mais pensez-y : si une manne d’argent tombait du ciel, arrêteriez-vous de travailler ? Les chercheurs ont utilisé les loteries suédoises pour répondre à cette question (2). Sur 100 Suédois, 77 sont actifs : quand ils gagnent 100 000 euros au loto, seuls deux Suédois arrêtent de travailler pendant quelques années. Après dix ans, l’effet du gain au jeu sur l’emploi devient nul. De manière surprenante, les Suédois les plus aisés qui ont gagné 100 000 euros ont travaillé moins que les autres. Conclusion : donner aux gens de l’argent sans conditions ne décourage guère l’emploi, et encore moins parmi les pauvres.

Pour finir, on peut citer les leçons de l’expérience menée en Alaska. Depuis 1982, tous les résidents ont droit à un revenu annuel sans conditions. Ce revenu vient de l’argent des hydrocarbures investi par l’Etat dans le Fonds permanent de l’Alaska. De nos jours, il est d’environ 2 000 dollars par personne. Mon collègue Damon Jones et moi-même avons étudié l’effet de cette somme sur l’emploi. Dans un travail de recherche qui n’est pas encore publié, nous montrons que les résidents de l’Alaska sont aussi nombreux à travailler que ceux qui n’ont pas droit au revenu universel.

La question du financement d’une telle mesure reste compliquée, mais il est rassurant de savoir qu’elle ne décourage guère le travail. Je suis ainsi d’accord avec des collègues économistes comme Thomas Piketty : il est utile de réfléchir davantage à la proposition de Benoît Hamon au lieu de la condamner pour irresponsabilité.