Moins d’un mois après sa piètre prestation devant le Congrès américain, Mark Zuckerberg a eu de nouveau, fin avril, les honneurs de la presse américaine.
Cette fois, il ne s’agissait pas de s’inquiéter de la captation des données de Facebook par Cambridge Analytica, mais de souligner le niveau stratosphérique des rémunérations dans le groupe .
Un salaire médian de 240 000 dollars
A 240.000 dollars (202.000 euros) par an, le salaire médian chez le leader des réseaux sociaux est en effet, et de loin, le plus élevé des grandes entreprises américaines . Pour mémoire, le salaire médian d’une entreprise est celui de la personne située à mi-chemin entre le salarié le mieux payé et celui qui l’est le moins bien – dit autrement, la moitié des quelque 25.000 employés de Facebook ont touché plus de 240.000 dollars l’an dernier.
Chez Alphabet (maison-mère de Google), deuxième de ce classement établi par le cabinet d’analyse Equilar , le revenu médian n’est «que » de 197.000 dollars. Et les groupes high-tech font largement la course en tête : Exxon, première entreprise de l’ancien monde, ne pointe qu’en cinquième position, derrière Netflix et Twitter, avec 160.000 dollars. Plus parlant encore : la moyenne du salaire médian dans les 1.600 entreprises américaines examinées par Equilar ne s’établit qu’à 63.000 dollars – quatre fois moins que chez Facebook !
Si le sujet a suscité de multiples commentaires, c’est d’abord parce que c’est la première fois que les Américains disposent d’éléments de comparaison sur les salaires médians dans leurs entreprises. Leur publication répond en effet à une obligation apparue avec la loi Dodd Frank, votée en 2010 par l’administration Obama, dans la foulée de la crise financière de 2008 : pour la première fois cette année, les grandes entreprises américaines dont l’année fiscale se termine au 31 décembre avaient l’obligation de communiquer à la SEC, avant le 1er mai, leur salaire médian et celui de leur PDG.
Celles dont l’année fiscale est décalée, comme Apple (fin septembre) bénéficient de quelques mois de répit, mais devront bientôt afficher la même transparence.
Les raisons de l’envolée
Trois facteurs expliquent pourquoi Amazon, Google ou Netflix occupent les premières places du classement. D’abord, elles évoluent sur un marché du travail restreint, où la course aux talents bat son plein. Comme elles ne veulent embaucher que les meilleurs, elles sont réputées pour associer des procédures de recrutement draconiennes… et des salaires très généreux.
Le phénomène s’est encore amplifié ces dernières années avec l’engouement autour de l’intelligence artificielle – un domaine où les chercheurs et ingénieurs sont rares et les salaires confidentiels. Le mois dernier, le New York Times a par exemple révélé que le responsable de la recherche de l’ONG Open AI , fondée par Elon Musk, avait perçu 1,9 million de dollars pour l’année 2016… avant de partir pour Google.
Deuxième élément d’explication : les salariés de ces groupes sont parmi ceux qui rapportent le plus. Le revenu généré par un salarié de Facebook s’élevait l’an dernier à 1,6 million de dollars, et 1,3 million chez Alphabet – le record dans la tech étant détenu par Apple, avec 1,9 million.
Dans l’énergie ou la pharmacie, certaines entreprises plus petites font mieux, mais les géants du net ont une particularité : ils touchent avec un minimum d’infrastructures – pas de stocks, peu d’actifs immatériels à part des data centers – une population gigantesque. D’où l’importance d’investir avant tout dans les talents.
La chasse aux talents
D’ailleurs, et c’est la troisième explication, ces groupes ont su pousser cette logique à l’extrême en employant presque exclusivement des salariés à forte valeur ajoutée. Quand les géants du XXe siècle offraient toutes sortes de métiers, y compris pour le ménage ou la sécurité, ceux du XXIe concentrent les cerveaux et sous-traitent tout le reste, la fabrication comme les services aux employés.
Mais ce modèle ne fonctionne que pour les entreprises qui sont de purs acteurs d’Internet. Car en matière de salaire médian, toutes les stars de la tech ne sont pas égales : il n’est que de 54.816 dollars chez Tesla et… 28.446 dollars chez Amazon, dont la majorité des 560.000 employés sont des livreurs et des préparateurs de commande, souvent à temps partiel. Quelle que soit sa valorisation et son poids économique, dès que l’entreprise, même très high-tech, se confronte au monde physique, que ce soit pour fabriquer ou distribuer des objets, elle devient comme les autres.
La «sagesse » des PDG
Google, Facebook et consorts se distinguent aussi par le ratio entre le salaire du PDG et le salaire médian. L’objectif principal de la transparence prônée par la SEC était en effet de faire connaître les entreprises où les disparités sont les plus fortes – en misant sur le « name and shame » pour réduire les inégalités.
Dans ce domaine, les patrons de la tech font plutôt figure de bons élèves : un PDG du secteur touche en moyenne 40 fois le salaire médian dans son entreprise, alors que la moyenne est de 68 fois toutes industries confondues. Le ratio est bien supérieur chez Exxon (108 fois) ou Goldman Sachs (163 fois), sans parler de Mc Donald’s (3.101 fois), où le salaire médian est l’un des plus faibles d’Amérique (7.017 dollars).
Mais, dans la tech, cette transparence cache beaucoup de choses. En effet, reprenant une coutume lancée par Steve Jobs à son retour chez Apple, en 1997, plusieurs PDG du secteur ne se versent aucun salaire, préférant être rémunérés en stock-options – qui ne sont pas prises en compte dans les comparaisons fournies à la SEC.
C’est le cas de Jack Dorsey (qui touche respectivement 0 et 3 dollars pour les deux entreprises qu’il dirige, Twitter et Square), de Mark Zuckerberg (qui a cependant déclaré 7,3 millions de dollars à la SEC, mais au titre de ses dépenses de sécurité ) ou de Larry Page, PDG et cofondateur de Google, qui ne reçoit que 1 dollar.
Ce dernier n’est pas trop à plaindre : ses 20 millions d’actions Alphabet font de lui le 9ème homme le plus riche du monde, avec une fortune de 51 milliards de dollars – soit, comme l’a calculé le site Recode , une moyenne de 3,9 milliards de dollars par an depuis l’entrée en Bourse de Google.