Projets d’exploitation en partage : lever les équivoques

À vrai dire, côté RDC, la mise en œuvre des initiatives communes d’exploitation pétrolière et gazière piétine. Il revient naturellement au gouvernement de rassurer non seulement les États de la région mais aussi la communauté des investisseurs et l’opinion en général, en montrant patte blanche sur toutes les affaires qui l’accablent.

EN TOUT cas, la Tanzanie n’a pu attendre que la République démocratique du Congo remplisse sa part de charge concernant le protocole du 3 octobre 2016. Elle a officiellement sollicité une assistance technique du voisin ougandais pour entamer la prospection dans le bassin d’Eyasi Wembere (centre du pays) ainsi que le forage dans le lac Tanganyika. Pourtant l’Ouganda n’est pas un pays riverain du lac Tanganyika, qui est le trait d’union entre quatre pays : Burundi, RDC, Zambie et Tanzanie. 

Par ailleurs, avec l’Ouganda, les accords d’exploration et d’exploitation commune du pétrole dans le lac Albert de 1990 et 2008 sont en veilleuse. Ce pays ayant décidé de se lancer dans l’exploitation sans attendre la RDC. Avec le concours de Total, l’Ouganda a installé sur le lac Albert ses propres unités de production et d’évacuation du brut. La RDC compte aussi sur l’Ouganda pour avoir accès au pipeline du pétrole brut de l’Afrique de l’Est (EACOP), prévu dans l’accord de Ngurudoto entre l’Ouganda et la Tanzanie de 2007, pour le transport du pétrole brut congolais (Graben Albertine) vers Tanga en  Tanzanie (océan Indien) via Hoïma en Ouganda. 

Un allié gênant ?

Quid alors de la collaboration avec l’allié angolais ? La loi sur les hydrocarbures de 2015 a relancé un contentieux qui dure : la délimitation des frontières maritimes de la RDC. Est-ce un sujet tabou que personne n’ose aborder à haute voix ? En tout cas, les observateurs évoquent la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de Montego Bay (1982) pour fonder leurs commentaires. D’après cette convention, les États côtiers ont des droits souverains sur l’exploitation des ressources des fonds marins, notamment les hydrocarbures.  

Lorsque la marge continentale s’étend au-delà de 200 milles, ces États peuvent prétendre exercer leur juridiction jusqu’à 350 milles marins des lignes de base. Par contre, ils doivent partager les revenus tirés de l’exploitation des ressources minérales au-delà de la limite des 200 milles, gérés par l’Autorité internationale des fonds marins. 

Pour y prétendre, les États côtiers se devaient de constituer et déposer un « dossier technique et juridique », au plus tard le 13 mai 2009, devant la commission des limites du plateau continental. Plus de 80 pays se trouvant dans ce cas de figure, dont la RDC, ont alors introduit des requêtes préliminaires auprès de cette commission aux fins d’extension de leur plateau continental. La RDC avait déposé la sienne le 9 mai 2009, comme pour se conformer à l’exigence de la procédure. 

Mais, en réalité, expliquent les mêmes observateurs, Kinshasa n’a jamais voulu contrarier Luanda. Adolphe Muzito, alors 1ER Ministre, déclarait devant des sénateurs que la requête visait à répondre à un double enjeu : « d’abord, affirmer la souveraineté de l’État congolais sur des espaces maritimes dont il n’avait pas, pendant longtemps, clairement défini ni les frontières ni les espaces. Ensuite, assurer la souveraineté sur l’extension du plateau continental au-delà de 200 milles marins ». 

Des sources proches du dossier affirment que Luanda avait vu rouge, et aussitôt communiqué sa position sur la requête de Kinshasa. Luanda a élaboré « sa » propre loi sur ses frontières maritimes et introduit, à son tour, sa requête à la commission des limites du plateau continental, avec ses propres calculs, mettant ainsi hors de portée les immenses champs pétroliers devant revenir, en principe, à la RDC. 

En réaction, Kinshasa avait introduit auprès du secrétaire général de l’ONU des indications. Lesquelles ? On ne le saura pas. Tout comme on ignore les résultats des tractations (encore en cours ?) entre Kinshasa et Luanda pour la délimitation du plateau continental « litigieux ». Dans ce dossier, la ligne d’attaque de Kinshasa se déclinait en trois axes : renégocier l’exploitation commune des Zones d’intérêts communs (ZIC), scientifiquement et juridiquement définis comme étant les espaces sur les 5 km qui longent les deux limites latérales ; négocier le départ des sociétés de droit angolais exploitant des blocs pétroliers dans le couloir maritime congolais ou trouver toute autre forme de partenariat afin de favoriser l’esprit de coopération et de fraternité avec le voisin angolais présent au Nord, avec une frontière administrative avec la province du Cabinda et au Sud, une frontière naturelle avec le fleuve Congo donnant sur l’embouchure (le couloir maritime congolais). 

Un premier accord avait été mal négocié en 2003 par le gouvernement de transition 1+4. En juillet 2007, une délégation gouvernementale congolaise avait obtenu la revisitation de cet accord. Lambert Mende Omalanga, ministre des Hydrocarbures de l’époque, expliquait que le nouvel accord portait sur le développement commercial d’exploration-production pétrolière dans la ZIC de recherche d’une longueur de 10 km sur 375 km dans l’océan Atlantique, dont la découverte est assez intéressante et couverte par des permis d’exploration. 

Cet accord dit commercial serait le premier pas dans la résolution du contentieux relatif à l’exploitation des hydrocarbures au large du littoral congolais. Il a été ratifié par la loi du 16 novembre 2007 autorisant l’exploration et la production des hydrocarbures dans une zone maritime d’intérêt commun. Comme on peut le constater, la question cruciale de la délimitation du plateau continental n’avait pas été abordée. Et depuis, beaucoup d’eau coule sous le pont. Tout ce que l’on sait est qu’une commission a été mise en place pour harmoniser « les points de vue ».

Le gaz du lac Kivu

La RDC et le Rwanda se sont engagés à explorer le pétrole (en cas de découverte) et d’exploiter le gaz dans le lac Kivu. Selon un accord entre les deux pays, un comité d’experts devrait être mis en place avant de se lancer dans l’exploration et de trouver une société spécialisée dans la prospection pétrolière. En ce qui concerne le gaz enfoui dans ce lac, le Rwanda est déjà en pleine exploitation gazière en vue de la production de l’électricité. La société Kivu Watt opère sur le lac Kivu depuis 2016, et produit 26 MW, dont 6 MW sont transportés à Goma, le chef-lieu du Nord-Kivu. 

De son côté, la RDC est face à un litige d’attribution du marché d’exploitation du gaz du lac Kivu. Le consortium Engineering Procurement &Project Management (EPPM) SA/Swede Energy DRC/Transcentury, et Kivu Lake Energy Corporation (KLEC) se le disputent. En 2017, Aimé Ngoy Mukena, le ministre des Hydrocarbures de l’époque, a réévalué les offres financières des candidats, croyant ainsi clore le litige. Cette réévaluation donnait l’avantage à EPPM-SWEDE (80,77 %) sur KLEC (79,6 %). 

En réaction, KLEC a mis en cause le rôle de Bruno Tshibala Nzenzhe, alors 1ER Ministre, dans le dossier. En effet, l’approbation du 1ER Ministre dans l’attribution définitive du marché est une condition sine qua non. Selon la loi sur les marchés publics en RDC, le 1ER Ministre disposait de 10 jours pour donner son approbation. Dépassé ce délai, le marché est attribué. Ainsi pour KLEC, le silence de Tshibala pouvait laisser à penser que le contrat d’exploitation du gaz méthane du lac Kivu en vue de la production de l’électricité était déjà accordé au  consortium EPPM-SWEDE. À Goma, on a marre du flou qui enveloppe le projet. Pour rappel, les besoins en énergie de cette ville sont évalués à 60 MW.