Que d’inquiétudes et d’interrogations sur la riposte, maintenant que la barre de 1 000 cas a été franchie

Ce que les Kinois, en particulier, redoutaient le plus est arrivé : le seuil fatidique de contamination à quatre chiffres a été dépassé, deux mois, jour pour jour, après la déclaration de la pandémie en RDC, le 10 mars dernier. L’état d’urgence sanitaire est toujours en vigueur car prolongé de 15 jours à dater du 8 mai. La population demande désormais des comptes sur la gestion de la crise sanitaire.

SANS vraiment céder à la panique, les gens se posent bien des questions dans les rues de Kinshasa. À quoi aura alors servi, plus d’un mois déjà, le confinement de Gombe, considérée comme l’épicentre de la maladie dans la capitale de la République démocratique du Congo ? À quand la réouverture des commerces, services, restaurants, administrations et autres enseignes commerciales ? À quand la reprise des cours dans les écoles et les universités fermées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ? Au regard de l’évolution effrénée de la pandémie, est-ce que la prise en charge médicale est correcte ? Est-ce que la logistique est bien assurée ? Est-ce que, est-ce que, est-ce que…

Toutes ces questions et bien d’autres sont révélatrices de l’état d’esprit actuel dans la population. Visiblement, elle est inquiète de l’avenir. Et quand les réseaux sociaux, véritable centrale nucléaire de la rumeur, s’en mêlent, le cocktail devient extrêmement explosif. Face au faisceau d’informations mais aussi de fake news sur la pandémie de Covid-19 qui leur parviennent, les gens à Kinshasa sont sans défense, ou c’est tout comme. 

Méthode « Vunga »

Comble de tout : les Kinois redoutent désormais les centres de santé où les malades de coronavirus seraient abandonnés à eux-mêmes et où la prise en charge laisserait à désirer. Nombre d’entre eux ont décidé carrément de se prendre en charge, qu’il s’agisse de la prévention ou de la curation. Dans beaucoup de ménages kinois, on se passe le mot : « N’allez jamais vous présenter à un centre hospitalier en cas de manifestation des signes suspects. Soignez-vous, vous-mêmes, en recourant à la méthode Vunga ». C’est une pratique ancestrale qui consiste à se blottir sous la couverture pour inhaler des vapeurs d’eucalyptus et d’autres substances thérapeutiques (un mélange de feuilles d’arbres fruitiers : avocatier, manguier, oranger, citronnier, etc.). Il semble que la méthode « Vunga » est efficace à 100 % pour guérir non seulement le coronavirus mais aussi d’autres maladies comme la malaria.

Dans cette ville de plus de 12 millions d’habitants, la situation commence à prendre des proportions inquiétantes. En tout cas, les députés nationaux (62 députés ont été présents dans l’hémicycle, et 280 autres par vidéoconférence) ne se sont pas fait prier pour voter la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire pour des durées successives de quinze jours, lors de la plénière du jeudi 7 mai. Pour rappel, l’état d’urgence sanitaire a été décidé par Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, le 24 mars dernier.

Lors du débat à l’Assemblée nationale, les députés ont motivé leur vote de prolongation de l’état d’urgence sanitaire par les recommandations du Comité multisectoriel de la riposte au Covid-19. Les Kinois s’interrogent : pourquoi, depuis le début de la pandémie en RDC, au lieu de rendre la situation meilleure, la riposte ne fait que l’empirer ? En témoigne le bulletin médical du dimanche 10 mai. 

Le Comité multisectoriel de la riposte au Covid-19 a en effet annoncé des nouveaux cas testés positifs (34) par l’Institut national de recherches biomédicales (INRB). À Kinshasa (32), au Nord-Kivu (1) et au Sud-Kivu (1). Cinq personnes sont sorties de l’hôpital guéries, soit au total 141 personnes déjà guéries du Covid-19. 

Aucun décès ce jour-là, 425 cas suspects en cours d’investigation et 731 patients en bonne évolution. À la date du 10 mai, le seuil symbolique de 1 000 cas a été franchi en RDC, soit un total de 1 024 cas enregistrés depuis la déclaration de la pandémie : Kinshasa (938 cas), Kongo-Central (29 cas), Haut-Katanga (10 cas), Nord-Kivu (8 cas), Sud-Kivu (4 cas), Ituri (2 cas), Kwilu (1 cas). À cette allure, l’indignation gagne du terrain et la tension monte de plusieurs crans. 

La tension monte

La veille du Conseil des ministres en vidéoconférence du vendredi 8 mai, le président de la République a fait de l’itinérance, suite à « plusieurs plaintes des compatriotes atteints du coronavirus sur les conditions de leur prise en charge », selon les propos du porte-parole du gouvernement, David Jolino Diwanpovesa Makelele ma-muzingi, le ministre d’État, ministre de la Communication et des Médias. À cette occasion, il a visité trois hôpitaux publics (Clinique Ngaliema, Hôpital du Cinquantenaire et Hôpital de l’Amitié sino-congolaise), deux établissements médicaux privés (CMK et HJ) ainsi que l’Institut national des recherches biomédicales (INRB) sur lequel Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo n’a pas tari d’éloges : « une fierté nationale », « un joyau de la République » et « un Institut unique en Afrique », qu’il a demandé au gouvernement de préserver et de lui « consacrer tous les moyens nécessaires ».

Suite à cette tournée essentiellement dédiée à l’écoute des uns (responsables des hôpitaux publics) et des autres (malades), le président de la République a fait un constat malheureux qu’il a porté à la connaissance des membres du gouvernement et a formulé des recommandations lors du Conseil des ministres du 8 mai. 

Le constat est que « les personnes internées se plaignent de leur abandon ou de la non-assistance des responsables des centres, cas de l’Hôpital du Cinquantenaire ». C’est pourquoi il a recommandé « une meilleure prise en charge ».

Concernant l’insuffisance du matériel médical, il a indiqué que les comme les respirateurs et les équipements commandés seront livrés à brève échéance. Quant au personnel médical qui se dit abandonné, le président de la République a instruit le ministre de la Santé d’intensifier les solutions, notamment au manque de combinaisons pour accéder aux malades, au non-paiement des salaires et primes du personnel soignant et des autres accompagnateurs, « ces professionnels qui font preuve d’un courage particulier ». Concernant la lenteur dans la transmission des résultats de tests de dépistage, le chef de l’État a annoncé l’arrivée prochaine des intrants permettant des tests rapides et efficaces. 

Par ailleurs, les hôpitaux CMK et HJ devront être dotés très prochainement des intrants pour la production rapide des tests. La visite du président de la République dans les hôpitaux a permis également de se rendre compte que la restauration des malades est un pis-aller. Le ministre de la Santé doit prendre des initiatives pour y remédier. 

Bref, le président de la République a souligné « la nécessité de mettre fin aux incompréhensions qu’il a décelées entre les malades et les responsables des établissements visités ». 

Avant de faire part de l’entretien qu’il a eu avec Emmanuel Macron, le président français, sur la collaboration entre l’INRB et l’Institut Marie-Curie de France. Sur ce volet de coopération, Félix Antoine Tshisekedi a indiqué que les chercheurs congolais vont se pencher sur la tisane malgache pour prévenir et guérir le Covid-19. 

Le virus tue, il faut en être conscient. C’est pourquoi, le président de la République a demandé aux membres du gouvernement d’assurer auprès de la population une large diffusion de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire décrété le 24 mars.