Regideso, Mercy Corps, Congo Maji, E4I : pourquoi ne pas revenir à la case de départ ?

C’est incroyable ce qui se passe à Goma concernant la gestion des bornes fontaines. Aux dernières nouvelles, on apprend que Pole Institute, Mercy Corps et Congo Maji auraient levé l’option de vente de cette société au profit de Pole Institute. Seulement voilà : comment contourner la Regideso partie prenante au protocole de collaboration ?

DES SOURCES proches du dossier soulignent que les discussions entre l’ONG britannique Mercy Corps, la société Congo Maji/E4I et Pole Institute à propos du rachat de Congo Maji, en réalité Entreprise For Impact (E4I), par Pole Institute sont quasi définitives, du moins « très avancées ». Surtout, il ne faudra pas que la Regideso sache qu’E4I est en train de vendre Congo Maji. 

On apprend aussi que Pole Institute poserait des conditions, notamment avoir la gestion de plus de 80 Bornes Fontaines (BF) pour faire un bon business. Or une bonne partie des BF dans la ville de Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu, est gérée par la Regideso SA à travers Congo Maji, et une autre partie a été remise au gouvernement provincial par Mercy Corps. Aussi, Pole Institute souhaite que Mercy Corps et Congo Maji l’adoubent auprès de l’exécutif du Nord-Kivu pour la gestion des nouvelles BF. 

Attaques et contre-attaques

Pourquoi s’empresse-t-on à vendre Congo Maji ou E4I, c’est selon ? S’agirait-il d’une fuite en avant ? En tout cas, ce feuilleton n’a pas encore livré tous ses secrets. En exécution des deux ordres de vérification, d’abord, l’ordre n°23.8/91357/DGI/DG-GM/BCF/Il/2020 du 8 septembre 2020 ; ensuite l’ordre n°23.8/1379/DGI/DG-NK/CDI-GM/BCF/IL/2020 du 12 novembre 2020, de l’impôt sur les bénéfices et  profits (IBP), exercice fiscal 2020, des revenus 2019, et de tous les impôts pour la période non contrôlée, la Direction générale des impôts (DGI), direction du Nord-Kivu, a écrit aux responsables de la société Congo Maji le 22 décembre 2020. Par cette correspondance, elle lui donnait « un délai des vingt jours » pour lui faire parvenir « d’éventuelles observations motivées ». Sinon, le montant arrêté lui serait réclamé par « voie  d’avis de mise en recouvrement ». Est-ce pour cette raison que Congo Maji est vouée à la vente ? Mercy Corps est-elle réellement en cause dans ce dossier, accusée d’entretenir la « confusion »  entre les provinces (Nord-Kivu et Sud-Kivu), d’une part, et la Regideso, d’autre part, sachant que cette dernière a la technicité et la capacité d’évaluer la qualité des infrastructures ? Pourquoi Mercy Corps préfère-t-elle plutôt remettre les BF aux provinces ? Et davantage de questions viennent alimenter le débat à l’allure d’une polémique. 

Apparemment, c’est la rupture des relations dans le cadre du protocole d’accord de partenariat entre Mercy Corps, Regideso et Congo Maji. Désormais, Mercy Corps traite avec les exécutifs provinciaux auxquels sont remis les BF construites, en tant que maîtres d’ouvrage. Quitte à eux de chercher les opérateurs pour les gérer. On voit d’ailleurs à Goma des gens sauter sur l’occasion en créant des sociétés opportunistes, justement pour obtenir la gestion de ces BF. 

Christian Mulumba du service de communication de l’ONG britannique nous fait savoir que « la position de Congo Maji et E4I en tant qu’entités indépendantes et leur propriété n’engagent qu’elles ». Que « Mercy Corps est chargée d’assurer l’accès à l’eau dans les zones du programme Imagine et, dans ce sens, elle est responsable du suivi des partenaires au programme ». Par ailleurs, même si « toute modification du statut d’un partenaire au programme » devrait être communiquée à Mercy Corps, cette dernière n’est pas impliquée « dans de quelconques négociations sur le statut de propriété ». 

D’après lui, « Mercy Corps reste déterminée à mettre en œuvre le programme Imagine et à soutenir la fourniture de services pour garantir la disponibilité et l’accessibilité de l’eau potable dans le long terme ». Et conformément à la loi relative à l’eau, ajoute-t-il, Mercy Corps « transfère » les travaux (réalisées dans le cadre du programme Imagine au maître d’ouvrage, en l’occurrence la province comme le confirment « les certificats de transfert d’actifs ». C’est donc à la province de les utiliser comme elle veut.

Mercy Corps prétend continuer à « travailler en étroite collaboration avec la Regideso au niveau des provinces et au niveau des équipes techniques pour s’assurer que les travaux se font selon les normes ». D’ailleurs, Christian Mulumba allègue « les inspections conjointes » (processus techniques) pour  justifier qu’il n’y a pas rupture.

Imbroglio déraisonnable

Jean Paul Lumbulumbu, vice-président à l’Assemblée provinciale du Nord-Kivu, a récemment déclaré sur les antennes de la radio L’Essentiel que sur les 90 BF attendues en 2020, seulement 24 ont été livrées par Mercy Corps. Les statuts de Congo Maji, créée le 23 janvier 2018, ont été modifiés à plus d’un titre. D’abord, une société par action à responsabilité limitée (SARL) de droit congolais, avec comme actionnaires Mark James Dwyer (Britannique) et Papy Byamungu Saïdi (Congolais), alors employés chez Mercy Corps/RDC. 

Puis, le 20 août 2018, Simon O’Connell, le directeur exécutif de Mercy Corps/Europe, et Papy Byamungu Saïdi, le directeur exécutif de Congo Maji, signent à Edinburgh en Ecosse un protocole d’accord de dévolution des droits et obligations de Mercy Corps/Europe à Congo Maji Sarl, des responsabilités de gestion d’eau potable dans la ville de Goma et Bukavu, ainsi que de soutien de Mercy Corps à Congo Maji dans la composante Fourniture des services du programme Imagine jusqu’à sa fin, formellement le 31 décembre 2020.

Ensuite, le 20 décembre 2018, Congo Maji Sarl est transformée en société par action à responsabilité limitée unipersonnelle (SARLU), suite au rachat de ses 100 % des parts par Entreprise For Impact (E4I), entreprise à but social et non lucratif de droit britannique représentée par Mark James Dweyer, et conformément à la déclaration de Bangkok sur le transfert d’actions de Congo Maji à E4I sans que la totalité des fonds promis à Congo Maji ne soit versée.

Politiquement, voire socialement, cela devient gênant pour les autorités provinciales à Goma. « Pourquoi ne pas revenir à la case de départ », suggère un notable de la province. Il rappelle qu’avant Congo Maji, il y avait « une structure locale de gestion des Bornes Fontaines à la grande satisfaction de la population ». L’ONG ? C’est Yme Grands lacs (YGL). Le projet ? Le projet d’adduction d’eau Extension Goma Nord/Système de gestion pilote (EGN). Pour rappel, c’est le 7 mars 2014 que la Regideso, Mercy Corps et YGL avaient signé une convention spéciale pour la gestion des BF à Goma. La gestion de la vente d’eau aux 27 BF (sur les 39 BF du projet iWASH mis en œuvre par Mercy Corps en partenariat avec la Regideso) construites et/ou réhabilitées par Mercy Corps grâce à un financement de USAID, DFID et Commission européenne, était confiée à Yme Grands Lacs. 

La gestion des infrastructures devait se faire selon les principes et les modalités du projet Système de gestion pilote (SGP), lequel devait être mis en œuvre conjointement par Mercy Corps, Yme Grands Lacs et la Regideso pour une durée minimale d’une année. Le SGP comportait deux phases : la phase dite d’amorçage (durée prévisionnelle de trois mois) et la phase dite d’accompagnement. 

La phase d’amorçage a duré plus que trois mois ; d’où l’avenant à la convention spéciale, qui précise aussi que le SGP comporte deux phases : une phase d’amorçage (12 mois, renouvelable par reconduction tacite) et une phase d’accompagnement. Par ailleurs, le projet a été étendu à cinq quartiers (Katoyi, Majengo, Munigi, Kasika et Mabanga-Nord) au lieu de trois auparavant, dans le cadre de l’exécution du projet iWASH et Imagine. Une évaluation conjointe du SGP était prévue à la fin de chaque exercice… Et la suite, on la connaît.