COMME le sous-sol du continent est encore insuffisamment exploré, une augmentation des investissements ne pourrait que favoriser le rythme des découvertes (Knebelmann, 2017). Dans de nombreux pays africains, les ressources naturelles non renouvelables sont une importante source de recettes. Mais, à cause des obstacles aux contrôles par l’État, des failles dans les politiques fiscales nationales et de la difficulté de faire appliquer le principe de pleine concurrence, les sociétés multinationales qui dominent ce secteur ont généralement recours à l’évasion fiscale ou aux flux financiers illicites. De généreuses incitations fiscales et les clauses de stabilité budgétaire contribuent aussi à empêcher les États d’obtenir suffisamment de recettes de leurs ressources naturelles.
Les pays d’Afrique doivent consolider leurs contrôles sur le secteur des ressources naturelles en envisageant d’abandonner les impôts sur les revenus des sociétés en faveur d’une formule de répartition (selon laquelle les profits des multinationales sont affectés dans les pays où elles opèrent en fonction des ventes, des salaires et de l’assise financière qu’elles ont dans chaque pays) et remédier aux lacunes de leurs politiques fiscales pour empêcher l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices. On estime qu’à elle seule l’élimination de l’érosion de la base d’imposition et du transfert des bénéfices pourrait augmenter les recettes fiscales d’environ 2,7 % du produit intérieur brut (PIB).
Des pertes en milliards
Le secteur des ressources naturelles est dominé par les multinationales et les entreprises étatiques, qui sont les seules qui peuvent disposer du capital nécessaire et gérer les risques élevés connexes (FMI, 2014a ; Mullins, 2010). Mais les multinationales sont aussi en mesure de mettre en place des stratégies internationales complexes d’évasion fiscale, en transférant leurs bénéfices des pays où les activités qui les génèrent ont lieu vers d’autres où elles ne doivent payer que peu ou pas d’impôt, ce que l’ont décrit par l’expression « érosion de la base d’imposition et transfert des bénéfices ». Il s’ensuit un énorme manque à gagner pour des pays qui dépendent fortement des recettes que devraient leur rapporter leurs ressources naturelles (PNUD, 2017 ; OCDE, 2015).
Les évasions fiscales dont se rendent coupables les multinationales se montent à des millions de dollars pour chaque entreprise et à des milliards de dollars par an pour chaque pays concerné (ActionAid, 2015 ; Africa Progress Panel, 2013, Bloomberg, 2012 ; Oxfam, 2015). En 2015, l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices se sont traduits par la perte d’environ 240 milliards de dollars par an pour les pays du monde entier dans tous les secteurs (Solheim, 2016).
Les évasions fiscales dont se rendent coupables les multinationales se montent à des millions de dollars pour chaque entreprise et à des milliards de dollars par an pour chaque pays concerné. En 2015, l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices se sont traduits par la perte d’environ 240 milliards de dollars par an…
Les conséquences de cette érosion de la base d’imposition et du transfert des bénéfices sont beaucoup plus graves pour les pays en développement que pour les pays développés (OCDE, 2015, 2014). Le manque à gagner pour l’Afrique s’est élevé à environ 2,7 % de son PIB en 2013 (Cobham et Janský, 2018). Ces estimations traitent l’Afrique comme une seule entité en se fondant sur les chiffres estimés pour les 42 pays africains pour lesquels on dispose de données. La perte médiane pour les pays dont les données sont disponibles était de 2,3 % et la perte moyenne était de 0,5 % (sur la base des données de Cobham et Janský, 2018).
Selon d’autres estimations, les pertes de recettes fiscales dues à l’érosion de la base d’imposition et au transfert des bénéfices se situeraient entre 1 et 6 % du PIB (Moore, Prichard et Fjeldstad, 2018). La taxation des ressources naturelles va demeurer une préoccupation pour les pays en développement, en particulier ceux qui sont riches en ressources (OCDE, 2014).
Contribution aux recettes publiques
Les défis de l’imposition des ressources naturelles en Afrique et des moyens de les relever posent de nombreux problème, notamment celui complexe des flux financiers illicites. La plupart des exemples proviennent des secteurs des minerais, du pétrole et du gaz des pays, mais pour l’essentiel l’analyse est aussi valable pour toutes les industries extractives. D’où les principales questions qui sont posées : Quelle est l’importance des recettes provenant des ressources naturelles non renouvelables pour les budgets des États africains ? Pourquoi devrait-on prélever différemment les impôts sur les ressources naturelles non renouvelables ? Quels sont les principaux problèmes qui se posent aux pouvoirs publics ? Comment les flux financiers illicites des sociétés multinationales, notamment les fraudes fiscales et les pratiques d’évasion fiscale agressive, affectent-ils les ressources non renouvelables ? Comment les pays d’Afrique peuvent-ils lutter contre l’évasion et la fraude fiscales dans le secteur des ressources non renouvelables ?
Le travail réalisé sur les flux financiers illicites dans le secteur des ressources naturelles par la Commission économique pour l’Afrique (CEA) offre de nouvelles perspectives sur les évasions fiscales, les fraudes fiscales et autres flux financiers illicites. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les recettes tirées des ressources naturelles sont des recettes dégagées par les États à partir de leurs ressources naturelles au moyen de divers instruments fiscaux et non fiscaux. Les recettes tirées des ressources naturelles incluent par exemple les impôts habituels que sont les impôts sur les sociétés et taxes sur la valeur ajoutée ; des impôts spéciaux sur ce secteur comme l’impôt sur le loyer des ressources minérales et autres instruments quasi fiscaux ou non fiscaux comme les redevances ou droits d’exploitation, les primes et les bonus (FMI, 2014a : 1).
L’augmentation des exportations indique que le secteur aurait la possibilité de contribuer aux recettes publiques pour financer les investissements dans les infrastructures physiques et sociales nécessaires au développement (Chuhan-Pole, Dabalen et Land, 2017 ; FMI, 2013). En 2016, les revenus des ressources naturelles ont rapporté environ 13,4 % du PIB de l’Afrique, les forêts en rapportant la majeure partie, soit 8,2 % du PIB. Le secteur des minerais apporte aussi une importante contribution au PIB, soit 3,2 %. Les autres ressources naturelles qui contribuent au PIB sont le pétrole, avec 1,8 % du PIB, et le gaz naturel, avec 0,2 % (Banque mondiale, 2017a, 2017b). Ces contributions varient d’un pays à l’autre, les pays riches en pétrole bénéficiant de la contribution la plus importante de cette ressource à leur PIB.