L’INSÉCURITÉ alimentaire et son corollaire la malnutrition font partie des crises mondiales dont on ne parle pas assez dans les médias et par nos gouvernants. De prime abord, la publication des premiers résultats de l’analyse des systèmes alimentaires par l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), le 28 janvier 2022, peut paraître anodine pour le citoyen lambda. Mais pour les planificateurs de développement, les décideurs politiques et les investisseurs, c’est un précieux indicateur.
Avant la publication de ces premiers résultats, l’Union européenne (UE), la FAO et le Centre de recherche agronomique pour le développement international (CIRAD), qui sont à l’origine de l’initiative en coopération avec les gouvernements nationaux, avaient organisé un webinaire de haut niveau sur l’évaluation du système alimentaire mondial (FSA) le 20 janvier. Ce webinaire avait réuni près de 200 participants, avec comme point d’ancrage sur le continent africain des résultats présentés pour le Sénégal et la République démocratique du Congo par des représentants gouvernementaux de haut niveau ainsi que des experts techniques.
« Chaque pays et chaque système alimentaire a son propre ensemble des complexités que nous avons essayé d’identifier à travers ces évaluations pour mieux comprendre quelle ligne de conduite et quelles politiques soutenir », avait déclaré Mohamed Manssouri, le directeur du Centre d’investissement de la FAO.
Le Sénégal et la RDC ne sont là que quelques exemples des principales questions de durabilité émergeant de la FSA. L’analyse est en cours dans d’autres pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, et les principales conclusions devront être publiées prochainement sous forme de rapports intitulés « Profils des systèmes alimentaires par pays ». Pour la FAO, « le résultat fournira un tremplin pour les politiques et investissements futurs visant à transformer les systèmes alimentaires, en les rendant plus durables et inclusifs ».
Le constat général
La FAO souligne dans son analyse que « nos systèmes alimentaires ne parviennent pas à produire suffisamment de nourriture saine pour toutes les populations et de générer des emplois viables de manière durable pour l’écologie ». Ils sont soumis à de fortes pressions, telles qu’une croissance démographique rapide, une urbanisation continue, des innovations technologiques, un changement dans les modes de vie ainsi que les impacts du changement climatique.
On peut y lire : « Dans de nombreux cas, le problème se situe au niveau des contraintes du système, bien au-delà de la production agricole. Il y aurait potentiellement assez de nourriture pour tout le monde, évitant ainsi la double charge de la malnutrition et de l’obésité, cependant les déséquilibres économiques et territoriaux sont tels que les systèmes alimentaires ne génèrent pas des revenus équitables pour tous les acteurs de ce système, en particulier les petits producteurs, prisonniers d’un cercle vicieux de précarité et de pauvreté. »
Huit pays pilotes (Boutan, Burkina Faso, Colombie, Madagascar, Malawi, Nepal, République dominicaine et Sénégal) ont été déjà passés au scan, et le processus est en cours dans plus de 50 pays dont la RDC. Il s’agit d’un processus de consultation et d’évaluation des systèmes alimentaires, comme première étape à leur transformation inclusive et durable. Ces évaluations sont basées sur « une approche systémique » qui prend en considération le système alimentaire dans son ensemble et en examine les nombreuses interactions à travers quatre secteurs clés : la nutrition et la sécurité alimentaire, le bien-être économique, l’équité territoriale et la protection de l’environnement.
« Les informations recueillies jusqu’à présent mettent en évidence certaines questions primordiales touchant à la durabilité des systèmes, qui à terme pourront participer à la définition de nouvelles politiques et investissements innovatifs pour une transformation plus durable et inclusive des systèmes alimentaires », rapporte la FAO dans son analyse. Pour qui, ces évaluations contribuent également aux dialogues nationaux organisés dans le cadre du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires en septembre 2021.
Diagnostic sur la RDC
Les évaluations des systèmes alimentaires, note la FAO, « ont combiné des preuves quantitatives et une évaluation qualitative ainsi que des consultations des parties prenantes, impliquant les secteurs public et privé, la société civile et le milieu universitaire ». Selon Mohamed Manssouri, « cet exercice doit servir de pierre angulaire à l’élaboration de nouvelles politiques et à la réalisation d’investissements publics et privés de qualité pour assurer de la nourriture saine et des moyens d’existence convenables à toutes les populations, tout en préservant l’environnement ».
S’agissant de la RDC, l’analyse montre que seulement 1 % des 80 millions d’ha de terres arables est actuellement exploité. Le pays dispose d’un énorme potentiel agricole, et pourtant il souffre d’une insécurité alimentaire aiguë. Le réseau routier est en mauvais état et pas assez développé pour améliorer la commercialisation des produits agricoles. L’exploitation minière représente la plus grande part des activités économiques…
Pour remédier à la situation, la solution réside dans la promotion de l’agriculture familiale et de l’entrepreneuriat agroalimentaire, dans la sécurisation foncière, l’amélioration de l’accès au financement et le développement des infrastructures pour dynamiser le marché intérieur. « Nous devons réduire l’insécurité alimentaire et la dépendance aux importations alimentaires », a déclaré Julie Tshilombo, la représentante spéciale de la présidence de la RDC, qui a assisté au webinaire en tant que conférencière principale.
À l’opposé de la RDC, l’expansion des terres arables a atteint sa limite, les sols s’épuisent et les ressources en eau diminuent au Sénégal. Entre 2000 et 2015, le pays a perdu 40 000 ha de terres arables par an. « En termes de sécurité alimentaire, les inégalités se creusent entre les zones rurales pauvres et les milieux urbains plus aisés où les populations bénéficient d’une plus grande diversité alimentaire. Une question clé est de savoir comment nourrir la population sénégalaise tout en limitant la dépendance aux importations, en inversant l’épuisement des ressources naturelles et en offrant des emplois attractifs aux jeunes ».
Par ailleurs, les conclusions de la FSA sont censées porter un éclairage pour les nouvelles politiques et contribuer à l’amélioration de la qualité des investissements privés et publics, essentiels pour rendre les systèmes alimentaires plus durables et inclusifs. « L’objectif final est d’assurer la disponibilité et l’abordabilité d’aliments sûrs, nutritifs et sains pour tous, et de garantir une répartition plus équitable des richesses et des ressources, tout en préservant l’environnement, en vue d’atteindre les ODD d’ici 2030.
Pourquoi les systèmes alimentaires durables ? Ils ont l’avantage de « garantir de la nourriture saine à un prix accessible pour tout le monde, ainsi que des opportunités élargies d’emploi et une meilleure répartition des richesses et des ressources », font remarquer les experts de la FAO. Ces évaluations jouent un rôle primordial dans l’identification des contraintes auxquelles les agriculteurs, les industriels, les négociants, les distributeurs, les revendeurs de détail et les consommateurs qui sont les acteurs des systèmes alimentaires, doivent faire face. Il va de soi que ces évaluations ont également pour objectif de rassembler les connaissances sur la question en vue de favoriser la transition vers des systèmes alimentaires plus durables.