Un an après le scandale de Panama Papers, des têtes tombent

Après le scandale de Panama Papers, après la publication de l’étude de l’ONG britannique Oxfam, qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui va changer ? La convention multilatérale contre la fraude fiscale proposée par l’OCDE devrait s’appliquer dès 2018, tandis que l’Union européenne a promis de mettre en place une liste noire commune des paradis fiscaux dans le monde, sans les pays membres de l’UE, d’ici la fin de l’année. Mais des doutes persistent quant à l’attitude des Américains et des Britanniques. 

Le scandale de Panama Papers a eu un retentissement mondial, qui a mis en lumière les dérives fiscales du Panama et de très nombreuses personnalités ainsi que de milliers d’anonymes. C’était il y a un an. Le 3 avril 2016, le monde découvrait les « Panama Papers », un scandale politico-financier lié à la fuite de 11,5 millions de documents confidentiels issus des archives du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. Au travers des articles d’un consortium international de journalistes, était ainsi mis en lumière l’argent caché par des dirigeants politiques, des sportifs, des personnalités du spectacle mais aussi des milliers d’anonymes via des sociétés offshore. Pour quelles conséquences?

Une centaine d’enquêtes lancées

Selon l’Agence France Presse (AFP), au moins 150 enquêtes ont été lancées dans 79 pays pour évasion fiscale ou blanchiment d’argent supposés. L’AFP cite à ce propos le Centre pour l’intégrité publique, basé à Washington. Parmi les personnalités citées, le 1ER Ministre britannique de l’époque, David Cameron, le footballeur argentin Lionel Messi, le réalisateur espagnol Pedro Almodovar et la star de cinéma de Hong Kong Jackie Chan… mais aussi plus de 140 hommes politiques et responsables publics.

Mais seule une petite partie d’entre elles en ont payé le prix. Peu après la déflagration, le 1ER Ministre islandais, Sigmundur David Gunnlaugsson, a démissionné. Il avait détenu des avoirs aux îles Vierges britanniques, sans les déclarer. Même sentence pour le ministre espagnol de l’Industrie, Jose Manuel Soria, qui a en outre annoncé son retrait définitif de la vie politique, et pour l’Uruguayen Juan Pedro Damiani, l’un des membres éminents du comité d’éthique de la Fédération internationale de football (FIFA). Les deux fondateurs du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, Jürgen Mossack et Ramon Fonseca Mora, ont quant à eux été placés en détention provisoire, non pas en raison des Panama Papers, mais dans le cadre du scandale de corruption d’Odebrecht, le groupe de BTP brésilien… Et ce n’est peut-être pas terminé.

La récente étude d’Oxfam est venue jeter un pavé dans la mare, à propos de certaines banques européennes. « Nous pointons le décalage entre l’activité déclarée par les banques dans les paradis fiscaux et l’activité réelle qu’elles y ont. C’est énorme ! », a affirmé Manon Aubry, co-auteure du rapport, lors de la présentation de ce rapport, en mars, à Paris. Le Luxembourg est spécifiquement point du doigt. Ce n’est pas le seul pays, mais c’est celui qui ressort le plus de l’étude d’Oxfam, car les banques européennes y ont déclaré collectivement plus de 4,9 milliards d’euros de bénéfices.

Selon Oxfam et le réseau Fair Finance Guide International, les banques européennes ont déclaré 26 % de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, soit 25 milliards d’euros en 2015, mais seulement 12 % de leur chiffre d’affaires et 7 % de leurs employés. Un « décalage flagrant » ! Ces mêmes établissements déclarent même au global 628 millions de bénéfices dans des paradis fiscaux où elles n’ont pourtant aucun employé. Cette « utilisation abusive des paradis fiscaux » peut permettre aux banques de « délocaliser artificiellement leurs bénéfices pour réduire leur contribution fiscale, faciliter l’évasion fiscale de leurs clients ou contourner leurs obligations règlementaires », souligne Oxfam dans son étude. Les activités des banques européennes sont ainsi plus de deux fois plus lucratives dans les paradis fiscaux que dans les autres pays. Pour 100 euros de chiffre d’affaires, elles y déclarent 42 euros de bénéfices, contre 19 euros en moyenne. Les employés y sont aussi 4 fois plus productifs qu’un employé moyen au niveau global.

Les enquêtes se poursuivent

Partout dans le monde, les investigations se poursuivent. Au Panama, d’où est parti le scandale, l’enquête n’a repris qu’en mars, après une suspension de deux mois pour « raisons techniques ». À Genève, en Suisse, où Mossack Fonseca réalisait près de 20 % de ses affaires, cinq enquêtes avaient également été ouvertes dans les jours qui ont suivi les révélations, et elles n’ont pas encore toutes abouti. « Certains dossiers ont été classés, d’autres ont visiblement fait l’objet d’un accord, d’autres ont été transmis aux spécialistes anticorruption du ministère public de la Confédération », indiquent les enquêteurs de Tamedia dans « Matin Dimanche » et le « SonntagsZeitung », cités par l’AFP. De fait, si certains hommes politiques comme le président argentin, Mauricio Macri, et le 1ER Ministre australien, Malcolm Turnbull, ont été blanchis, d’autres ont encore un nuage panaméen au-dessus de la tête. La Cour suprême du Pakistan doit par exemple se prononcer mi-avril sur les révélations concernant des biens détenus à l’étranger par les enfants du 1ER Ministre, Nawaz Sharif, via des holdings offshore. Selon l’AFP, il y a des progrès dans la lutte contre l’évasion fiscale… Directement visé par les articles du consortium international de journalistes et ajouté par la France sur la liste des paradis fiscaux, le Panama a changé sa législation. Désormais, le pays est obligé de répondre aux demandes d’informations de la centaine de pays signataires de la convention multilatérale contre la fraude fiscale proposée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui doit s’appliquer dès 2018. « Quand un ou deux pays systémiques (comme le Panama) refusent d’avancer, au moindre problème, les autres le saisissent comme une excuse pour ne rien faire; nous ne sommes plus dans cette situation », se réjouit Pascal Saint-Amans, le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

Promesse d’une liste noire

De manière générale, le scandale des « Panama Papers » aurait donné un « coup de collier » à toute la lutte contre l’évasion fiscale, indique-t-il. « L’échange automatique d’information, qui est la vraie fin du secret bancaire, ne fait maintenant plus d’objection de la part de personne.» Mais il y a encore beaucoup d’obstacles à franchir. Les ONG se réjouissent évidemment de ces progrès. « Mais il y a encore beaucoup de pain sur la planche », explique Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam, pour qui les Panama Papers ne sont que « la partie visible de l’iceberg ». Elle en veut pour preuve l’étude publiée par son ONG, qui dénonçait les bénéfices réalisés par les vingt plus grandes banques européennes dans des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande.

Les options de l’UE

Or si l’Union européenne a promis de mettre en place une liste noire commune des paradis fiscaux dans le monde d’ici la fin de l’année, aucun État membre n’y figurera, dénonce Oxfam. « Avant de demander aux autres juridictions de mettre de l’ordre, l’Union européenne doit mettre de l’ordre à l’intérieur de sa propre maison », accuse Aurore Chardonnet, chargée de plaidoyer au sein de l’organisation, citée par RFI. Autres récalcitrants: les États-Unis, qui refusent le principe de l’échange automatique d’informations. Un vrai problème, jugent les ONG anti-corruption, selon lesquelles des États américains comme le Nevada, le Wyoming ou le Delaware peuvent être assimilés à des paradis fiscaux. Et cela ne devrait pas s’arranger, puisque les États-Unis de Trump et la Grande-Bretagne en plein Brexit examinent actuellement des mesures fiscales qui pourraient renforcer leurs pratiques et celles de leurs territoires, dont les Iles Vierges des États-Unis, les Iles Vierges britanniques et les Iles Cayman.