BEF : Si votre nomination en tant qu’ambassadeur du Rwanda en RDC a été fort critiquée par vos détracteurs, comment l’avez-vous vécue, vous-même ?
V. K. : Je dirai que ce fut la plus grande joie de ma vie. Sincèrement, c’est la nomination qui m’a fait le plus plaisir jusqu’aujourd’hui. En effet, il y a tant de choses qui me lient à la RDC : les milieux d’enfance, les souvenirs, les amis, les cultures, les langues et la cuisine… Motolu na nga bakunda na Congo (c’est au Congo qu’est enterré mon cordon ombilical), comme disent les Congolais ! Je me sens Congolais et j’appartiens au Congo. Seulement, je dois être clair s’agissant de la nationalité.
BEF : Les lignes bougent dans l’Est de la RDC, où le président Tshisekedi vient de décréter l’état de siège partiel dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Est-ce pour vous une décision qui va dans le bon sens, lorsque l’on sait que le Rwanda est souvent accusé d’activités clandestines dans cette partie du pays ?
V. K. : La décision du président Tshisekedi de proclamer l’état de siège dans l’Est de la RDC est une bonne décision. Le souhait de tous est que la RDC fasse un effort pour apporter la valeur ajoutée dans la lutte contre la violence, l’impunité et les troubles qui paralysent certaines parties de l’Est du pays. Il y a beaucoup de groupes armés et de forces négatives, ainsi que des groupes rebelles anti-pays voisins qui y opèrent. Que l’état de siège ou d’autres démarches politico-militaires soient mis en place pour résoudre le problème d’insécurité, nous ne pouvons que féliciter le gouvernement congolais pour cet acte de bravoure. Nous sommes solidaires de la RDC pour toutes les démarches possibles qui visent la stabilisation de toutes les parties de la RDC encore plongées dans violence.
BEF : Y a-t-il réellement une volonté rwandaise d’œuvrer à baisser la tension en RDC et à développer une diplomatie tous azimuts après tant d’années de relations tumultueuses ?
V. K. : Je ne dirai pas que nous avons des relations tumultueuses. Chaque relation a des hauts et des bas. Nous avons eu des relations séculaires entre les deux peuples avant même la colonisation. Il y avait des mouvements des populations, l’intégration et les intermariages. Puis, il y a eu un moment de notre histoire, aux XVe et XVIe siècles, où le Mwami (roi) des Bashis congolais a colonisé le Rwanda pendant 12 ans. Et le Mwami Rwabugiri du Rwanda a pris sa revanche en assujettissant les Bushis au Congo.
Après, cet épisode, il y a eu la proximité culturelle entre les peuples de l’Est : les Bashis, les Bahavus et les Baviras d’expressions et coutumes presque similaires. Bien avant l’arrivée des colons, ces peuples travaillaient ensemble, ils se mariaient entre eux. Ils se disputaient parfois – c’est normal – mais finissaient toujours par résoudre leurs différends. Il faut rappeler aussi qu’il y a eu des transplantations ; on l’oublie souvent. Le Rwanda était d’abord une colonie allemande. Quand les Allemands ont été vaincus pendant la première Guerre mondiale, le Rwanda a été rattaché au Congo-Belge, le Burundi aussi, pour former ce qu’on a appelé le Congo-Rwanda-Urundi. C’est ainsi que les fonctionnaires congolais étaient mutés au Rwanda et au Burundi, et ceux de ces deux pays en RDC.
À partir de 1918, des policiers et des fonctionnaires congolais étaient envoyés au Rwanda, et beaucoup de jeunes rwandais ont commencé à venir étudier en RDC. De même, beaucoup de Rwandais sont venus travailler dans les mines du Katanga à partir des années 30, le plus souvent transplantés par les Belges. Par ailleurs, à travers les relations générationnelles, des souches des populations congolaises se sont retrouvées au Rwanda. En réalité, ce sont des Rwandais de par leur existence, leurs origines. D’ailleurs, dans une province, près de Bukavu, vivaient des Rwandais appelés péjorativement « Bashis » parce qu’on doutait de leurs origines rwandaises. Ce n’est pas une stigmatisation mais c’est juste pour montrer que de tout temps, les Rwandais et les Congolais sont toujours ensemble.
BEF : Avouez qu’il y a quand même tension entre les deux pays depuis 1994…
V. K. : Il y a eu des turbulences suite au génocide au Rwanda, à l’hébergement des génocidaires en RDC mais aussi à la participation du Rwanda dans la lutte de libération du Congo par l’AFDL. Il s’en est suivi la rupture des relations avec l’AFDL et le soutien apporté au RCD-Goma. Certes, il y a eu des contradictions, des moments de turbulences, mais cela ne signifie pas que le siècle de partenariat, d’intermariages, d’échanges commerciaux est oublié. Aujourd’hui, heureusement, il y a des efforts, de part et d’autre, pour rétablir et promouvoir nos relations séculaires de bon voisinage, notre vision commune des Grands Lacs en termes de paix et de développement, d’intégration commune dans le continent et dans le monde entier dans le cadre de la globalisation.
BEF : En regardant droit dans les yeux les Congolais, pouvez-vous leur dire que le Rwanda n’est pas l’un des tireurs de ficelles de la situation d’insécurité dans l’Est de la RDC et qu’il n’a pas de velléités de balkanisation du Congo ?
V. K. : Le mot balkanisation n’est utilisé qu’en RDC. Historiquement, il n’y a pas de cas d’un pays qui ait pris l’espace d’un autre pays. J’ai été membre du gouvernement au Rwanda, et je dois vous avouer que nous travaillions seulement sur la vision à long terme connue sous le vocable de « Vision 2020 ». Il n’a donc jamais été question d’étendre l’espace du Rwanda au-delà de ses frontières. Par ailleurs, aucun pays voisin du Rwanda n’a jamais réclamé une partie de son territoire que le Rwanda aurait pris par la force.
La réalité est que certaines populations en se déplaçant à la recherche des terres pour l’agriculture ou l’élevage s’installent au-delà des frontières de leurs pays respectifs. Tous les pays voisins de la RDC ont des tribus ou ethnies qui sont à cheval sur la frontière. Le Rwanda a aussi des groupes d’ethnies à cheval sur la frontière avec l’Ouganda, la Tanzanie et le Burundi. Savez-vous qu’au Burundi, il y a un endroit qu’on appelle « Rwanda », qu’il y a des peuples au Congo qui s’appellent Banyarwanda, qu’il y a des peuples en Ouganda qui s’appellent Bafumbira… Tous ces peuples parlent pourtant le kinyarwanda.
Mais cela ne veut pas dire que nous avons une ambition de considérer les terres où ils habitent comme rwandaises pour refaire le Rwanda du Mwami. Je ne sais pas d’où viennent ces allégations de balkanisation ! Cela fait plus de 30 ans déjà qu’on en entend parler. Mais le Rwanda n’a pas pris un seul m² de la RDC jusqu’aujourd’hui. Un projet qui fait plus de 30 ans sans être réalisé, ça n’existe pas. C’est un rêve ou les détenteurs de ce projet sont incapables de l’exécuter. Dans ce cas, cela me paraît comme une rumeur qui circule dans les réseaux sociaux en RDC. Je suis sûr que le gouvernement congolais n’y croit pas, tout comme le gouvernement rwandais.
Le Rwanda et la RDC sont membres de l’Union africaine (UA), et la Charte de l’UA stipule que les États doivent respecter leur intégrité territoriale, les frontières telles que laissées par la colonisation. Par ailleurs, demandons-nous pour quel intérêt le Rwanda outrepasserait ses frontières. Il y a une tendance au Congo de penser que le Rwanda qui est petit, envierait des terres en RDC. (…)