Vivement le 13è mois pour les fonctionnaires et agents de l’État

On ne peut pas dire, à cause du Covid-19, que le soleil a illuminé de ses rayons le repas de Noël et Nouvel An pour la majorité des employés du secteur public. Le « colis de fin d’année », généralement composé de riz, poulets, huile, etc. n’a pas été distribué ou presque, en décembre dernier. Mais là où cela a pu se faire, il y a de quoi tomber vraiment en commisération.

COMMENT fêter Noël et Nouvel An en famille dans le contexte de l’épidémie de coronavirus ? Pour le réveillon, le couvre-feu entré en vigueur le 18 décembre 2020 a pratiquement tout gâché. On pense à ces ambiances chaudes de ces soirées dont seuls les Kinois bien nés connus pour leur élégance désinvolte et séduisante gardent le secret. Si les virées nocturnes et les veillées de prières ont été frappées du sceau du couvre-feu, préconisé par le gouvernement pour protéger la population et éviter les contaminations pendant la célébration ensemble des fêtes de fin d’année, on n’a pas senti l’ambiance festive de fin d’année dans les familles, surtout dans celles des fonctionnaires et agents de l’État, quant au repas de Noël et de Nouvel An.

La « fête » n’aura pas eu le même goût que les années précédentes dans la plupart des ménages, qui ont vu flamber les prix des produits alimentaires sur le marché. 

Avec la pandémie de Covid-19 qui sévit sur les économies nationales plongées dans la récession depuis mars 2020, beaucoup d’entreprises et de familles sont « dans une situation critique ». L’année dernière, les mesures sanitaires ont fait que des entreprises ont fermé ou envoyé leurs employés en congé technique… Les entreprises dans l’ensemble ont été contraintes de faire arbitrages, des coupes. C’est dans cette optique de faire face à la pandémie sans couler que certains avantages, tels le « colis de fin d’année » et la « gratification », ont été retirés aux employés. De quoi susciter l’incompréhension. 

La ritournelle

Chaque année, quand approchent « les beaux jours » de l’année, c’est-à-dire les 25 et 31 décembre, c’est la même ritournelle. Depuis plusieurs années déjà, l’État a emboîté le pas au secteur privé en distribuant aux fonctionnaires et agents des ministères et autres services publics le fameux « colis de fin d’année ». Un colis des vivres ni vraiment professionnel, à la différence de ceux que reçoivent les employés du secteur privé comme « cadeaux de Noël et de Nouvel An », ni vraiment humain en raison de son contenu. Mais à quoi bon ?

Et puis quelle idée d’organiser la distribution des vivres la veille des fêtes, souvent tard dans la soirée alors que les « bénéficiaires » doivent rentrer chez à bord des transports en commun hypothétiques et au péril de leur vie à cause de l’insécurité nocturne notamment dans la ville de Kinshasa ? Pourquoi faire attendre sous la canicule des hommes et des femmes âgées ? Depuis des années, on se dit tout cela, et puis, chaque fois, les mêmes personnes trouvent le même intérêt à se rendre à leur service pour en bénéficier. 

Les griefs et les critiques ne sont pas parvenus à mettre fin à cette pratique. Un homme âgé de 86 ans, retraité de la Société congolaise des poste et télécommunications (SCPT) parle, lui, de « colis de honte » pour les fonctionnaires et agents de l’État. Il dénonce en fait un phénomène qui ne profite pas aux fonctionnaires et agents de l’État mais contribue à enrichir ceux qui sont en charge de l’opération au gouvernement et dans les ministères et autres entreprises et services publics.

En décembre dernier, le ministère du Budget avait bien l’intention de négocier l’importation du riz et des poulets en faveur des fonctionnaires et agents de l’État pour les fêtes de fin d’année. Un appel d’offre était même sur le point d’être lancé. Sans doute, le Covid-19 est passé par là, et le projet a fait flop. Mais depuis quelques années jusqu’en 2018, c’est la société détenue par des Libanais, Socimex, qui gagnait le marché de fourniture des vivres (cartons de poulets et sacs de riz) au gouvernement pour les fêtes de Noël et de Nouvel An. Il s’agit d’une commande ferme de plusieurs millions de dollars selon des sources au ministère du Budget. Quant aux entreprises publiques, elles se prennent elles-mêmes en charge pour distribuer les vivres aux agents.

L’année dernière, on a assisté à des scènes surréalistes la veille de Noël et/ou de Nouvel An. Beaucoup d’entre nous ont eu un regard de commisération à l’endroit des fonctionnaires et agents de l’État… Dans certains services, on a distribué un poulet et 5 kg de riz par agent, sans blague ! « Un poulet par agent ou famille, c’est vraiment humiliant ! Ce n’est même pas humanitaire ! », râle un père de famille. « Déjà qu’à la Fonction publique, le salaire qui a un caractère alimentaire, n’est pas décent, alors qu’il doit être digne », vitupère un syndicaliste. 

Qui ne comprend pas pourquoi les négociations sur les rémunérations à la Fonction publique achoppent depuis des décennies. À considérer les conditions sociales actuelles, caractérisées par la vie chère, d’aucuns se demandent si les salaires à la Fonction publique peuvent permettre au Congolais lambda de vivre décemment. 

Panier de la ménagère

Combien faut-il donner, aujourd’hui, comme salaires à la Fonction publique ? Les syndicats réclament au moins 400 dollars par mois pour le dernier des fonctionnaires. L’État a le devoir de veiller à ce que le SMIG tienne compte du panier de la ménagère, car il est un salaire en deçà duquel aucun travailleur ne peut être rémunéré. Un expert du travail fait remarquer que le SMIG est soumis à une limite inférieure fixée par les conditions de dignité et de décence de la vie pour le travailleur ainsi qu’à une limite supérieure fixée par la productivité du travail. Un bémol : le SMIG est imposable seulement aux entreprises privées et paraétatiques. La Fonction publique, la police et l’armée ne sont pas régies par le code du travail.

Depuis 2017, les syndicats de la Fonction publique revendiquent le rétablissement des allocations sociales supprimées sans motif pour les fonctionnaires et agents des services publics. Mais le gouvernement semble faire la sourde. D’aucuns pensent que le phénomène du « colis de fin d’année » avilit les salariés de l’État, et donc il faut le supprimer pour le remplacer par « la gratification » ou « le 13è mois ».

Pratique encore en vigueur dans certaines entreprises publiques et du secteur privé, la gratification n’est qu’un don ou une libéralité qu’on fait à quelqu’un pour le récompenser, en reconnaissance d’un service ou en faveur d’une bonne action. Dans la pratique, la gratification à la fin de l’année prend la forme d’un colis de vivres et/ou d’un salaire supplémentaire (13è mois). Mais le tout est dans la valeur de la récompense. Aujourd’hui, les quelques poulets et kilos de riz qu’on remet à chaque fonctionnaire ou agent de l’État n’a aucune valeur parce qu’insignifiants. « Le style est l’homme même », disait le naturaliste français Buffon. Un style qui, chez les hommes politiques, ne se révèle qu’à l’épreuve du pouvoir. S’appuyant sur cette vérité, les fonctionnaires et agents de l’État n’hésitent pas à demander à Felix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, à mettre fin à cette pratique honteuse du colis des fêtes et à instaurer le 13è mois à la Fonction publique. Comme ça, les salariés de l’État peuvent faire les achats de Noël et de Nouvel An à leur guise dans les supermarchés, pourquoi pas ! « Il n’y a que lui puisse prendre une telle décision, et ça dépend de lui. »