Le secteur bancaire est à un tournant. S’il n’est pas bien pris, l’avenir risque de n’être guère reluisant. Au désormais traditionnel dîner annuel de l’Association congolaise des banques (ACB), son président, Yves Cuypers (président du comité de direction de la Banque commerciale du Congo ou BCDC), n’a pas usé du « je », dont beaucoup dans sa situation gavent l’auditoire pour montrer leur « toute-puissance », que c’est eux qui impulsent, donnent le tempo… bref, c’est eux qui décident… Yves Cuypers, lui, a usé, voire abusé du « nous ». Mais c’est justifié, nous chuchote à l’oreille un des convives au dîner agrémenté par un groupe de Jazz kinois.
Tout le gotha de la banque était là, jeudi soir, le 15 février, au restaurant les Gourmands du Cercle (sportif) de Kinshasa. Mais des invités, parmi lesquels des membres du gouvernement (ministres, Plan, Budget, Commerce, Économie, Fonction publique, Justice, PME), le gouverneur de la Banque centrale du Congo (normal !), des patrons (FEC), des hauts-fonctionnaires de l’État, etc. l’événement a mérité bien une fière chandelle car le dîner annuel que tient l’ACB, a dit son président, est « un moment, un espace privilégié où nous disons des choses ». Eh bien, « les choses » qui ont été dites cette soirée-là, avaient un tout autre sens aux yeux du numéro un de l’ACB. Son propos du jour a ressemblé à un déballage en règle, ou tout au moins en avait l’air. En tout cas, on a compris, l’heure est grave et le recours fréquent à la marque du discours « nous… nous » est éloquent et justifié à cet égard. Yves Cuypers s’est présenté, ce soir-là, non pas en président de l’ACB, comme il l’a souligné lui-même, mais en porte-parole de tous les membres de cette association corporative. La nuance est importante. D’où, d’ailleurs, au-delà des vœux de paix et de prospérité qu’il a formulés à chacun d’eux, le président de l’ACB a lancé à la fin de son message un véritable appel à « faire bloc », à « être solidaires » parce que, dit-il, « nous engageons une part importante et des finances et de l’économie du pays ». Et de
Poursuivre : « Mon souhait est que les choix que nous posons, rencontrent l’intérêt de tous et l’intérêt de l’économie ». C’est tout dire !
État actuel du secteur bancaire
Mais en luminaire, Yves Cuypers, avec un brin d’humour savamment dosé sans chercher vraiment à vexer, a dit qu’en 2016, le secteur bancaire congolais a connu un recul. Il a un peu marqué le pas après 15 années de croissance continue, entre 25 et 35 % par an de croissance annuelle moyenne selon des critères qui avaient été retenus. C’est donc grâce notamment aux réformes lancées par le gouvernement pour redresser le cadre macroéconomique, améliorer la gouvernance économique, assainir le secteur financier et relancer la croissance, que l’architecture financière du pays a connu d’importantes améliorations pendant cette période.
Pour preuve, le nombre de banques commerciales avait sensiblement augmenté, plusieurs autres types d’institutions financières, institutions de microfinance (IMF), coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC), messageries financières…, se sont développés et le taux de bancarisation s’est accru. En chiffres, on avait quelque 18 banques commerciales, 1 banque de développement (SOFIDE), 1 institution spécialisée dans le financement de l’industrie (FPI), 3 sociétés financières, 1 société d’assurance (SONAS) et l’Institut national de sécurité sociale (INSS), 149 institutions financières de proximité (qui incluent 126 coopératives d’épargne et de crédit et 23 institutions de microfinance), 43 messagères financières, 16 bureaux de change, et 3 établissements de monnaie électronique (EME), filiales des opérateurs de télécommunications (Airtel Money, Vodacash puis M-Pesa et Tigo Cash puis Orange Money), qui proposent des produits de mobile banking. Ces performances s’expliquent, d’une part, par l’amélioration de la supervision du système financier (grâce à un réaménagement du cadre légal et réglementaire et à un renforcement des normes de gestion prudentielle), le redressement des banques en difficultés, et la liquidation des banques et COOPEC dont les perspectives de redressement étaient totalement compromises, et, d’autre part, par le développement des activités économiques, avec un taux de croissance moyen de 6 %.
Cependant, comme le dit Yves Cuypers, les banques ont connu en 2017 une « année difficile », même si le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, lui a confié que 2017 a été « meilleur que 2016 ». Et « nous n’en sauront pas plus pour une raison simple, parce que nous n’avons pas, à l’heure où je vous parle, clôturé nos comptes »., a fait remarquer le président de l’ACB. Et pourquoi les banques n’ont pas encore clôturé leurs comptes ? « Nous attendons les retardataires. Et vous allez vous demander quelle banque est en retard… Et non, nous attendons le ministère des Finances », dont le ministre s’est fait représenter à la soirée de l’ACB.
Le risque de schizophrénie
En fait, le ministère des Finances doit communiquer aux banques le coefficient d’évaluation des immobilisés parce qu’il va déterminer, pour elles, le montant de la reconstitution du capital. Cela a un « impact significatif » sur le résultat des banques, surtout lorsqu’on est dans une période où le franc se déprécie, a indiqué Yves Cuypers. « Donc, M. le représentant du ministre des Finances (Henri Yav Mulang), je me permets de vous taquiner et d’insister pour que nous ayons cette donnée rapidement ».
Ensuite, la profession attend avec impatience le texte d’application de la loi de finances de 2017, qui parle de « la déductibilité fiscale des provisions ». Pour le président de l’ABC, « il s’agit de préciser les conditions de cette déductibilité fiscale ». En tant que « porte-parole » du secteur, du moins pour cette circonstance, Yves Cuypers n’est pas allé par quatre chemins : « Nous devons avoir le meilleur parallélisme possible entre la loi et son texte d’application, d’une part, et les instructions prudentielles de la Banque centrale, d’autre part. Si nous n’avons pas ce parallélisme, nous risquons, nous les banques commerciales, de nous retrouver dans une situation schizophrénique. » Autrement, une situation de « devoir gérer en même temps une chose et son contraire. » Et de renchérir : « Ce n’est pas bien. Vous devez avoir une bonne compréhension de notre métier car en matière de provisions, les définitions et les références sont très précises. Elles relèvent et répondent à des normes internationales et elles sont unanimement mises en œuvre dans toutes les banques du monde entier. » Alors, pourquoi ne pas les mettre en œuvre chez nous ?, a interpellé le président de l’ACB.
La peur du lendemain ?
L’annonce de retrait de la RDC, il le dit avec beaucoup de regret au cœur, d’un confrère, la Byblos Bank, en 2017, est un fait à « déplorer » encore une fois. Après le scandale de la BIAC et l’absorption de la Fibank par Afriland First Bank.
Troisième sur le marché libanais avec un total bilan estimé à plus de 17 milliards de dollars, Byblos Bank accélère son déploiement international sur les marchés « exotiques », sous-bancarisés mais rentables. Cette stratégie de diversification géographique permet à la banque de réduire sa forte exposition au marché libanais qui subit fortement les soubresauts de la crise syrienne. L’Afrique est un axe important de développement même si les activités africaines ne pèsent aujourd’hui que quelque 240 millions de dollars dans le total bilan de Byblos Bank à travers une présence au Nigeria et au Soudan. Byblos Bank est entrée en RDC via l’acquisition de Solidaire Banque Internationale (SBI Sarl) en 2010. En tout cas, la banque envisageait fermement de s’installer en Angola et au Ghana, ceci expliquant peut-être cela.
Le président de l’ACB souhaite que « la transition qui est envisagée, soit une réussite ». En effet, comme il le dit, « perdre un confrère, ça n’est pas une bonne chose parce que ce ne sont pas des pertes des marchés que nous gagnons. C’est un ami qui s’en va et c’est un secteur qui souffre ». Et de rappeler : « En 2012, il y avait dans notre pays 21 banques commerciales actives et maintenant nous ne sommes plus que 15 acteurs. Et demain, peut-être encore moins ? Et demain encore, la santé du secteur va s’aggraver… C’est possible, peut-être que la santé va être assainie, ce qui est une bonne chose. »