Le WWF s’inquiète de l’extinction de masse des animaux sauvages

Le Fonds mondial pour la nature a, dans un rapport publié le 30 octobre, révélé que les populations de vertébrés sauvages ont considérablement décliné entre 1970 et 2014. Un bilan plus alarmant qu’il n’enchante.

MARCO Lambertini, le directeur général du Fonds mondial pour la nature (WWF International) souligne que « préserver la nature, ce n’est pas juste protéger les tigres, pandas, baleines, que nous chérissons ». C’est bien plus que cela : « Il ne peut y avoir de futur sain et prospère pour les hommes sur une planète au climat déstabilisé, aux océans épuisés, au sol dégradé et aux forêts vidées, une planète dépouillée de sa biodiversité ».

Et de poursuivre : « La situation est vraiment mauvaise, on le dit depuis un moment, mais cela ne cesse d’empirer. L’attention s’est beaucoup concentrée sur le climat, à juste titre. Mais nous oublions les autres systèmes (forêts, océans, etc.), interconnectés avec le climat et super importants pour le maintien de la vie sur Terre ». Pour lui, « l’humain a évolué pendant 2 millions d’années au cœur d’une nature abondante, riche… que nous considérons comme acquise. Or nous commençons à altérer la biosphère au point de pousser certains systèmes au bord de l’effondrement. » 

Effondrement

Le déclin de la faune concerne tout le globe, avec des régions particulièrement affectées, comme les Tropiques, selon le 12è rapport Planète vivante, publié avec la Société zoologique de Londres et basé sur le suivi de 16 700 populations (4 000 espèces). Le 10è rapport faisait état de -52 % entre 1970 et 2010. Rien ne semble freiner l’effondrement des effectifs, à -60 % désormais. La zone Caraïbe/Amérique du Sud affiche un bilan effrayant : -89 % en 44 ans. L’Amérique du Nord et le Groënland s’en sortent un peu mieux, avec une faune à -23 %. La vaste zone Europe, Afrique du Nord et Moyen-Orient est à -31 %.

Explication première : la perte des habitats, avec l’agriculture intensive, l’extraction minière, l’urbanisation… qui poussent à la déforestation, à l’épuisement ou à l’artificialisation des sols.

Au Brésil, qui vient d’élire un président dont le programme n’évoque ni la déforestation ni le réchauffement, la forêt amazonienne rétrécit toujours plus, comme la savane du Cerrado, au profit du soja et de l’élevage bovin. Mondialement, seuls 25 % des sols sont exempts de l’empreinte de l’homme. En 2050 ce ne sera plus que 10 %, selon les scientifiques de l’IPBES (le GIEC de la biodiversité). 

Réponse appropriée

S’ajoutent à cela, la surpêche, le braconnage, les pollutions, les espèces invasives, les maladies, le dérèglement climatique… « La seule bonne nouvelle est que nous savons exactement ce qui est en train de se passer. Espérons que cela aide à apporter la réponse appropriée. Pour le climat, nous avons eu besoin de voir les événements extrêmes s’intensifier avant de signer l’accord de Paris. La nature est un peu moins claire dans la relation de cause à effet : nous ne ressentons pas la déforestation ou l’extinction d’espèces sur notre peau de la manière dont nous sentons la chaleur ou le vent », ajoute Lambertini.

« La disparition du capital naturel est un problème éthique, elle a aussi des conséquences sur notre développement, nos emplois, et on commence à le voir », souligne Pascal Canfin, le directeur général du WWF/France. « On pêche moins qu’il y a 20 ans car le stock diminue. Le rendement de certaines cultures commence à baisser ; en France celui du blé stagne depuis les années 2000. Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis », a-t-il conclu.

Les services rendus par la nature (eau, pollinisation, stabilité des sols, etc.) ont été estimés par des économistes à 125 000 milliards de dollars annuels, soit une fois et demi le PIB mondial. Chaque année, le jour du dépassement avance, ce jour à partir duquel le monde a consommé toutes les ressources que la planète peut renouveler en un an. Pout le WWF, l’avenir des espèces semble ne pas retenir suffisamment l’attention des dirigeants. Pour qui, il faut relever le niveau d’alerte, provoquer un vaste mouvement comme ce fut le cas pour le climat. Que tout le monde comprenne que le statu quo n’est pas une option. Un combat d’autant plus gratifiant que les efforts peuvent payer vite, comme l’a montré le retour du tigre au Népal, du thon rouge de l’Atlantique ou du saumon de la Loire… 

Agir vite

« Nous sommes la première génération à avoir une vision claire de la valeur de la nature et de notre impact sur elle. Nous pourrions aussi être la dernière à pouvoir inverser la tendance », prévient le WWF, qui appelle à agir d’ici 2020, un moment décisif dans l’histoire, une fenêtre sans précédent qui se refermera vite.

Le WWF souhaite que par ce temps, les États soient appelés à renforcer leurs engagements pour réduire les gaz à effet de serre, et aussi à s’accorder pour protéger la nature lors d’une conférence spéciale à Pékin – avec pour objectif zéro perte nette de biodiversité en 2030. « Il faut une révolution culturelle qui valorise vraiment la nature, lui donne, au sens propre, une valeur. Et c’est le plus difficile. Les gens ont des plantes dans leur appartement, chouchoutent leur chien, comblant leur besoin de nature de manière artificielle en oubliant ce qui arrive à la vraie nature, dehors. Cette déconnexion est dangereuse, il faut nous reconnecter avec la nature », plaide Marco Lambertini. Pour qui « l’humanité mine des écosystèmes qui nous font vivre gratuitement depuis notre apparition sur Terre, et ces écosystèmes sont en train de s’écrouler ».

« Nous devons passer urgemment à une société neutre en CO2, renverser la perte de nature – via la finance verte, les énergies propres, une autre production agroalimentaire – restaurer suffisamment de sols et d’océan. Peu de personnes ont eu la chance de participer à de vraies transformations historiques. C’est notre chance », lance-t-il. 

Créé en 1961, le WWF suit de près le déclin accéléré des populations animales sur Terre. Son dernier rapport Planète vivante, auquel ont contribué une cinquantaine d’experts et qui reprend aussi de grandes études scientifiques publiées sur le sujet, conclut à la perte des espèces. 

L’index d’extinction montre une très forte accélération pour cinq grands groupes : les oiseaux, les mammifères, les amphibiens, les coraux et les cycadales, une famille de plantes anciennes. De manière générale, le taux d’extinction des espèces est de 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu’il était il y a seulement quelques siècles, avant que les activités humaines commencent à altérer la biologie et la chimie terrestres. Ce qui, pour les scientifiques, signifie qu’une extinction de masse est en cours, la 6è seulement en 500 millions d’années.

Limites atteintes

En 2009, les scientifiques ont mesuré l’impact des besoins croissants de l’humanité sur les systèmes terrestres. Ces derniers ont un seuil critique au-delà duquel le monde entre en territoire périlleux. Pour le climat, ce seuil est +1,5°C de réchauffement (par rapport au niveau préindustriel), ont souligné les experts climat de l’ONU en octobre. « À ce stade, nous avons déjà franchi deux autres limites planétaires, avec les pertes d’espèces et le déséquilibre des cycles de l’azote et du phosphore (résultant de l’usage d’engrais et de l’élevage intensif). Pour la dégradation des sols, l’alerte est au rouge. L’acidification de l’océan et la ressource en eau douce n’en sont pas loin », fait remarquer le directeur général du WWF International.