L’Initiative du bassin du Nil (IBN) regroupe tous les pays riverains du fleuve, à savoir le Burundi, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Soudan, le Soudan du Sud et la Tanzanie.
Pour rappel, l’IBN a été lancée en 1999, à l’origine, comme « un outil de mise en commun des informations scientifiques » entre les dix États riverains du plus long fleuve du monde, en vue d’« assurer le développement socio-économique par l’utilisation équitable et bénéfique des ressources hydriques communes du bassin du Nil ». En fait, l’initiative vise la paix et la sécurité de tous les pays riverains, en évitant tout conflit potentiel ou réel sur l’eau dans le bassin du Nil.
La ratification par tous les pays-parties de l’Accord-cadre (Accord d’Entebbe) du système censé définir le partage (usages) de l’eau du Nil est bloquée faute de consensus. Les points d’achoppement portent essentiellement sur l’article 4 relatif à « l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Nil », l’article 5 qui oblige les États du bassin de ne pas causer des dommages significatifs aux autres, et l’article 14 portant sur la sécurité de l’eau.
Le cycle de négociations avait débuté en mai 2009 à Kinshasa, puis une année plus tard, cinq pays de l’amont du fleuve (l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie) ont signé à Entebbe en Ouganda l’« Accord-cadre sur la coopération dans le bassin du fleuve Nil », et seuls l’Éthiopie, le Rwanda et la Tanzanie l’ont ratifié à ce jour. Tandis que les autres : le Burundi, l’Égypte, la RDC, le Soudan et le Soudan du Sud ne l’ont même pas encore signé. Cet accord remet en cause les traités de 1929 et 1959, qui donnent des « droits historiques » à l’Égypte et au Soudan, les deux pays de l’amont du fleuve, dont ils se prévalent encore. En 2012, à la suite des divergences persistantes au sein du système, l’Égypte et le Soudan ont suspendu leur participation à l’IBN.
Deux blocs solidaires
À l’invitation de Yoweri Museveni Kaguta, le président ougandais, un sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’IBN a été organisé en juin 2017 à Kampala, la capitale de l’Ouganda, en juin 2017. Il était consacré au retour de l’Égypte au sein de l’organisation. Lors des travaux préparatoires, au niveau des experts et des ministres, à Entebbe où se trouve le siège de l’organisation, aucune avancée n’a été constatée à l’analyse des propositions de l’Égypte pour la sortie de crise. Sinon, seule une réelle implication politique des chefs d’État et de gouvernement pourrait permettre le consensus.
Enjeu, pas que politique
Les prétentions de l’Égypte portaient essentiellement sur la renégociation de l’Accord-cadre de coopération, l’acceptation du principe de notification préalable pour tout projet d’aménagement des eaux, la sécurité des eaux du bassin du Nil. Bref, ce que recherche l’Égypte, c’est l’acceptation par tous les États membres du principe de consensus dans la prise de décisions et non celui de vote à la majorité. Aussi, fonde-t-elle sa participation aux activités de l’IBN sur une approche de transparence, de consensus et de partage des informations.
Au sommet de Kampala, les chefs d’État et de gouvernement ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur les propositions présentées par l’Égypte. Yoweri Museveni, l’hôte du sommet, a usé de toute son expérience politique et diplomatique pour mettre ses pairs devant leurs responsabilités. Prévenant des risques incalculables en cas d’absence de compromis sur l’utilisation de l’eau du fleuve Nil. Pour lui, Les États du bassin du Nil font face à de nombreux défis sous forme d’urgences : la croissance démographique, le déficit énergétique, le déficit industriel, la dépendance à l’agriculture de subsistance… En vain !
Les positions des uns et des autres n’ont pas bougé. Le président ougandais a alors dressé un constat d’échec : persistance de désaccord entre l’Égypte et l’Éthiopie, pas de nouvelles signatures de l’Accord-cadre. Mais un « Nous restons tous engagés pour dialoguer et discuter dans les prochains jours. »
Faute de parvenir à un consensus, l’Égypte a offert d’accueillir le prochain sommet pour poursuivre les discussions, alors que le Burundi prenait la présidence de l’IBN pour un mandat de deux. L’Égypte se dit prête à reprendre sa place dans l’organisation pourvu qu’il y ait une solution politique. En novembre 2019, Yoweri Museveni a invité à Kampala Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la RDC, pour le convaincre à signer l’Accord d’Entebbe. Le président congolais lui avait promis de le faire au plus tard en mars 2020.
« Cela va sans dire que la position de la RDC est stratégique. En signant l’Accord d’Entebbe, la RDC va influencer le rapport des forces en faisant basculer la majorité vers un bloc contre un autre », tente de faire comprendre ce diplomate africain. Et d’ajouter : « Ça signifie qu’à 6 pays contre 4, l’Accord d’Entebbe entre automatiquement en vigueur, ce à quoi l’Égypte est formellement opposée. »
D’après lui, on a tout faux de penser que cela ne concerne que l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan. « Je pense que la solution à la crise n’est pas que politique. On ferait mieux de regarder du côté des experts en eau qui pourraient apporter une solution technique durable au conflit qui pourrait mettre en péril la stabilité de la région s’il éclate, à cause des conséquences socio-économiques incalculables », argumente-t-il.
Vu sous cet angle, des experts congolais, semblent-ils, ont des propositions pertinentes à faire, en ce qui concerne la gestion intégrée des ressources en eau. D’ailleurs, la RDC et l’Égypte ont signé en mars 2012 un protocole d’accord de coopération bilatérale en matière d’eau. C’est un projet d’environ 10.5 millions de dollars, apportés par l’Égypte. Le projet a démarré en 2014 et va se poursuivre jusqu’en 2022. Ce projet accorde une grande importance à la mise en place d’un centre régional de prévision des pluies et du changement climatique.
Quatre experts congolais ont déjà suivi la première partie de la formation en Égypte pour sa gestion. L’Égypte attend que la RDC mette à disposition le bâtiment qui va abriter ce centre pour y installer le laboratoire high tec. Des experts expliquent que ce laboratoire est un enjeu majeur pour la gestion des ressources en eau et la maîtrise des mesures d’atténuation des impacts du changement climatique. C’est également un outil indispensable pour la prévision des catastrophes (inondations, sécheresses…) dues à l’eau en Afrique centrale, mais aussi pour la certification des ressources en eau de la RDC.
Le projet prévoit également une étude de faisabilité d’un barrage hydroélectrique à construire sur la rivière Semuliki afin de fournir de l’électricité aux populations riveraines. Il prévoit aussi le forage de 30 puits initialement au Nord-Kivu et en Ituri. Mais suite à l’insécurité dans l’Est du pays, 12 puits seront forés autour de Kinshasa et les 18 autres dans l’Est quand la stabilité sera rétablie. L’entreprise égyptienne qui a gagné le marché, travaillera en collaboration avec le Service national de l’hydraulique rural (SNHR). En ce qui concerne le renforcement des capacités, une vingtaine d’agents congolais ont été formés en Égypte sur la gestion intégrée des ressources en eau en 2015. D’autres attendent pour y aller en formation…