LA CHUTE des transferts de fonds pourrait impacter sévèrement les plus pauvres qui dépendent de cette source de revenus pour survivre. Pour nombre d’observateurs, il est donc essentiel de préserver cette bouée de sauvetage pour l’Afrique. D’après des experts de la Banque mondiale, le monde entre dans une récession économique incomparable. Par conséquent, les envois de fonds seront plus importants que jamais pour les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables, en particulier celles qui n’ont pas accès aux filets de sécurité économiques et sociaux. Par ailleurs, les ministres des Finances du G 20 devraient modifier leurs régimes nationaux de transferts de fonds, ainsi que les réglementations bancaires connexes, afin de ramener le coût des envois de fonds à un niveau proche de zéro jusqu’à la fin de la pandémie de coronavirus. Ils devraient ensuite faire en sorte que le coût des envois de fonds ne dépasse pas 3 %, comme convenu dans l’Objectif du développement durable 10, préconise le rapport « Faire baisser les frais ».
En outre, les gouvernements du monde entier devront prendre des mesures efficaces pour faciliter et stimuler les envois de fonds afin de soutenir la lutte contre le Covid-19 et, à terme, de bâtir un monde post-pandémique plus durable, souligne Stephen Karingi, le directeur de la division de l’intégration régionale et du commerce de la CEA.
Des coûts élevés
Les expéditeurs paient des frais d’envoi qui sont loin d’être négligeables. « Curieusement, ce sont les banques qui font payer le plus cher l’envoi de 200 dollars, soit des frais d’environ 11 % de la somme envoyée », souligne le rapport. Au niveau mondial, en 2017, les expéditeurs ont payé environ 30 milliards de dollars de frais. Depuis plus d’une dizaine d’années, des progrès ont été accomplis, notamment avec l’arrivée de nouveaux opérateurs, et notamment le succès de Safaricom qui a le premier mis en place à grande échelle, le transfert d’argent via le mobile.
« L’Afrique est la région où les frais de réception d’un envoi de fonds sont les plus élevés, avec un coût moyen de 8 % (contre 5 % pour l’Asie du Sud) », constate la CEA. Au sein du continent, les frais imposés restent prohibitifs, autour de 14 % ! Ils sont particulièrement élevés de l’Angola vers la Namibie, de la Tanzanie vers le Rwanda et du Nigeria vers le Togo. « Dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine, les pays africains devraient réduire considérablement le coût de l’envoi d’argent liquide sur le continent afin d’aider les économies africaines à mieux se reconstruire », préconise la CEA.
Dynamiques diasporiques
Dans tous les cas, le contexte actuel ne profite ni aux pays, aux diasporas et encore moins à la Banque mondiale dont les experts se trompent dans leurs prévisions. D’où la nécessité de mieux comprendre la subjectivité des diasporas. Est-ce que les modèles statistiques responsables intègrent toutes les variables et ressorts déterminants des dynamiques diasporiques ? Ont-ils, par exemple, intégré que les millions de visiteurs issus des diasporas qui ont été empêchés de se rendre l’été dernier « au pays » à cause du Covid-19 et, en conséquence, n’ont pas pu remettre d’argent cash de mains en mains à leurs familles, se sont certainement « repliés » sur les canaux de transferts formels ?…
Il faut rappeler que ces sommes importantes importées physiquement « au pays » par les diasporas pour les vacances (et pour une partie remise sous forme de dons à leurs familles : aides pour l’Aïd, préparation de la rentrée scolaire, du mariage, organisation du deuil…) sont comptabilisées habituellement par les offices des changes en recettes touristiques et non pas comme transferts… Donc, il est fort à parier que la hausse ou la baisse modérée des transferts formels annoncés par certains pays africains soient en réalité l’effet mécanique d’une baisse au moins équivalente des recettes touristiques…
Ce phénomène est d’autant plus perceptible dans les pays africains (Comores, Maroc, Tunisie, Egypte…) où les diasporas rentrent habituellement en masse l’été et n’ont pu le faire l’année dernière pour cause de Covid-19. Autre ressort plausible, si les transferts formels se portent bien ou moins mal que prévu, n’est-ce pas la conséquence de l’effet inclusif de la fermeture des frontières sur une partie de l’informel ? On connait tous en Afrique la portée des « mules », ces amis, proches ou voisins du même quartier ou village qui rapatrient physiquement des fonds pour le compte d’autrui, au gré de leurs visites régulières au pays. Avec des déplacements internationaux devenus compliqués, voire entravés, et surtout face à l’urgence sociale, certains « mandataires » ont certainement migré vers les canaux formels…
Quoiqu’il en soit ces deux hypothèses avancées font émerger, à l’aube d’un nouveau « diaspora round » visant à mieux engager les diasporas pour le développement en Afrique, le postulat stratégique de connaitre plus finement les diasporas, de circonscrire davantage leurs flux financiers et autres apports réels (transferts, recettes touristiques…) en renforçant notamment les modèles de statistiques publiques, nationaux et internationaux…
Pour la première fois dans l’histoire récente, le nombre de migrants internationaux devrait baisser en 2020, à la faveur d’un ralentissement des nouveaux départs et d’une hausse des retours vers les pays d’origine. Ces migrations de retour ont été observées partout dans le monde depuis la levée de mesures nationales de confinement, qui ont bloqué de nombreux migrants dans les pays d’accueil. La hausse du chômage parmi les migrants et les réfugiés, provoquée par des restrictions plus strictes en matière de visas, devraient accentuer encore ce phénomène.
Accompagnement
« Au-delà de considérations humanitaires, tout milite pour accompagner les migrants qui travaillent sur le terrain dans les pays d’accueil, que ce soit dans les hôpitaux, les laboratoires, les exploitations agricoles ou les usines », affirme Michal Rutkowski, le directeur mondial du pôle Protection sociale et emploi de la Banque mondiale. D’après lui, les mesures de soutien décidées dans ces pays doivent intégrer les migrants. De leur côté, les pays d’origine ou de transit doivent mettre en place des dispositifs de soutien au retour.
Les pays d’origine doivent trouver des solutions pour favoriser la réinstallation des migrants de retour, en les aidant à trouver un emploi ou à créer une entreprise. L’accélération des migrations de retour risque de déstabiliser les communautés locales qui, dans l’immédiat, sont contraintes d’organiser les quarantaines et, à moyen terme, devront accompagner la recherche de logement et d’emploi et les efforts de réinsertion.
Selon la base de données de la Banque mondiale sur le coût des envois de fonds (Remittance Prices Worldwide), le coût moyen d’un transfert de 200 dollars à l’échelle mondiale s’établit 6,8 % au troisième trimestre 2020, soit à peu près au niveau du premier trimestre 2019 – mais plus du double de l’objectif de 3 % à l’horizon 2030 fixé par les Objectifs de développement durable.
Bien qu’ils soient les moins chers, les opérateurs de transfert de fonds et les opérateurs mobiles rencontrent des difficultés croissantes, les banques fermant leurs comptes pour réduire les risques de non-respect des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et des normes contre le financement du terrorisme. Afin de maintenir ces canaux ouverts, surtout pour les migrants à faible revenu qui envoient de petites sommes d’argent chez eux, ces règles et normes pourraient être temporairement allégées. Par ailleurs, le renforcement des réglementations concernant l’argent mobile et des systèmes d’identité contribuerait à améliorer la transparence des transactions. Enfin, pour faciliter les transferts numériques, il faut améliorer l’accès aux comptes bancaires des fournisseurs de services mobiles, des personnes à l’origine de l’envoi des fonds et des bénéficiaires.