Exister pour survivre face aux nouveaux variants

Devant la perspective d’un nouveau confinement, une culture de l’épidémie reste à inventer. Il paraît légitime de demander aux personnes vulnérables une vigilance accrue tout en leur assurant une certaine continuité dans les services.

Pour la troisième fois, le France retient son souffle, au risque de perdre haleine. Le confinement national, solution parfois jugée archaïque et brutale, redevient d’actualité, seule issue apparemment possible face à la diffusion inexorable de nouveaux variants du Sars-Cov-2. Préoccupante, la situation sanitaire actuelle doit pourtant être distinguée de celles de mars ou d’octobre 2020 : depuis la première vague, notre société s’est considérablement fragilisée. Les logiques d’une gestion de crise exclusivement sanitaire, ou presque, se heurtent à la précarité et à la vulnérabilité de certains d’entre nous, jeunes ou non, encourageant à considérer des critères de décision qui ne soient plus exclusivement «sanitaro-centrés».

Mal connus mais au minimum responsable d’un virus plus transmissible, les variants nous font entrer dans une nouvelle étape de la maladie, Jean-François Delfraissy parlant même d’une nouvelle épidémie à part entière. Menaçant l’équilibre relatif obtenu depuis la mise en place du couvre-feu à 18 heures, ces mutations montrent que le «génie propre du virus» (Charles Nicolle) contourne les efforts déployés de manière parfaitement imprévisible et qu’il n’est plus possible d’espérer une sortie de crise avant de longs mois. Désemparant, ce tournant oblige à se demander comment vivre avec ce virus sans en subir seulement la diffusion sur le mode du confinement et de la restriction des libertés.

Nous sommes tous devenus vulnérables

La situation en Angleterre et en Irlande a montré que les demi-mesures ne fonctionnaient pas, que seul un confinement large et strict parvenait à limiter la circulation de ces formes mutantes. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’utilité immédiate d’un confinement éventuel, mais d’anticiper sur les mois prochains et de prendre en compte une donnée nouvelle : l’installation annoncée de cette crise dans la durée. Plusieurs étudiants se sont donné la mort récemment. Ces drames doivent nous alerter : pour les jeunes générations, la vie sous cloche n’est plus une solution possible, et l’isolement constitue un danger important d’anxiété, de dépression, de suicide. Ce constat vaut aussi pour les entrepreneurs, le secteur du tourisme, les acteurs du monde de la culture, tous dans l’incapacité d’exercer leur métier depuis des mois. Les plus fragiles ne sont plus seulement les personnes vulnérables à la maladie. A des degrés variés, nous sommes tous devenus vulnérables depuis mars.

Pierre angulaire de notre système de droits, l’égalité ne doit pas faire oublier que toutes les tranches de vie ne se «valent» pas, vérité qu’il n’est possible de reconnaître que dans des circonstances aussi dramatiques que celles actuelles. Les besoins ne sont pas les mêmes à tous les âges non plus. 

De 15 à 25 ans, les rencontres, sorties, apprentissages et découvertes culturelles évitent de sombrer dans une solitude mortifère, développent des personnalités, fabriquent les femmes et les hommes qui seront demain en charge d’un monde complexe et menacé. Ce seront eux qui auront à reconstruire notre société et à assumer dans le futur les investissements massifs et légitimes consentis pour répondre à la crise. Face au seul critère de la mortalité se dressent des vies sinon «perdues» du moins «empêchées» ou considérablement «réduites».

Les mutations du virus font advenir l’incroyable et l’inacceptable : cette pandémie ne disparaîtra pas demain. Elle ne nous laisse d’autre choix que d’apprendre à vivre avec elle pour un temps certain, à reprendre autant que possible la main par nos choix et nos délibérations collectives, à penser une société dans laquelle l’infection des plus jeunes ne «remonte» pas jusqu’aux plus vulnérables, à déployer notre imagination dans une période bien peu propice à cela. S’il n’est pas question de confiner les personnes vulnérables et les plus âgées de manière obligatoire, pour des raisons à la fois juridiques et éthiques, il paraît nécessaire de les appeler à un «auto-confinement» plus strict dans les semaines à venir, et ce malgré les efforts bien réels auxquels elles consentent déjà aujourd’hui. La santé des plus fragiles engage malheureusement l’existence des moins vulnérables à la maladie. D’ici quelques mois, les Français les plus exposés seront pour la plupart vaccinés et immunisés, grâce au choix consenti par tous de les rendre prioritaires dans l’accès à la vaccination. Il paraît légitime de leur demander, d’ici là et en échange, une vigilance accrue et maximale. Certains déplacements resteront néanmoins indispensables: courses, rendez-vous médicaux, déplacements pour se faire vacciner… Pourquoi ne pas leur réserver des horaires aux heures creuses dans les supermarchés ? Affréter des taxis dont le coût serait pris en charge pour les déplacements essentiels ? Prévoir des livraisons à domicile de nourriture et de biens de première nécessité ? Vérifier l’installation informatique des plus anciens pour leur assurer une relation au moins virtuelle avec leur famille ? Ou encore, dans le cas d’une réouverture des salles de spectacle, mettre en place des sessions réservées aux plus fragiles, et d’autres aux moins vulnérables ? Une culture de l’épidémie reste à inventer.

Les plus jeunes solidaires

Loin de témoigner d’une rupture entre les générations, cette crise a démontré que les jeunes comprenaient la nécessité des gestes barrière, des restrictions ou encore du confinement : n’excluons pas qu’ils soient demain solidaires de leurs anciens.

Le spectre de nos interrogations doit être plus large encore. Peut-on se priver encore longtemps de nos déplacements, cafés, restaurants, cinémas et théâtres ? Quel sens donner à une société amputée de sa créativité, de sa liberté, de ses droits les plus fondamentaux ? La crise menace notre équilibre démocratique: le Portugal a connu le 24 janvier à l’occasion de son élection présidentielle un taux d’abstention historique de plus de 60%. Les élections françaises sont dans moins d’un an et demi.