Le départ-surprise de Vincent Bolloré de Vivendi avant sa garde à vue

Quand la politique se mêle des affaires, ça sent le soufre. Vincent Bolloré, le patron du groupe éponyme, a annoncé son départ, précipité ou forcé ?, de la présidence du conseil de surveillance de Vivendi, qu’il occupait depuis mi-2014. Cinq jours après, il a été mis en examen pour l’affaire des ports africains.

 

Le 19 avril, Vincent Bolloré surprend tous les actionnaires de Vivendi réunis en assemblée générale : il annonce qu’il laisse son poste de président du conseil de surveillance à son fils, Yannick Bolloré. Et il motive sa décision-surprise par cette anecdote : « Dans la dernière saison de ‘Versailles’, Louis XIV regarde par la fenêtre et dit à son fils : ‘Tu vois, tout ça va être à toi’. Le fils n’a rien eu, ni le petit-fils, car le roi est resté cinquante ans. Je ne compte pas rester cinquante ans. » L’autre surprise est venue cinq jours plus tard, quand le boss a été placé en garde à vue, mardi 24 avril, à Nanterre pour des soupçons de « corruption d’agents publics étrangers ». 

Soupçons de corruption

D’après des sources concordantes, c’est cette procédure qui aurait contraint l’industriel à précipiter sa succession. D’autres évoquent des problèmes de gouvernance comme on le verra par la suite. Passons. La garde à vue du milliardaire a été prolongée mercredi 25 avril, la justice enquêtant sur des soupçons de corruption entourant l’obtention par son groupe de concessions portuaires en Afrique de l’Ouest. Des juges d’instruction tentent de déterminer si le groupe Bolloré a utilisé les activités de conseil politique de sa filiale Havas pour se voir attribuer la gestion des ports de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée, via une autre de ses filiales, Bolloré Africa Logistics, anciennement appelée SDV.

Le responsable du pôle international de Havas, Jean-Philippe Dorent, et Gilles Alix, directeur général du groupe Bolloré, ont également été placés en garde à vue, a précisé une source judiciaire. Dans un communiqué, le groupe Bolloré a « formellement » démenti avoir commis des irrégularités en Afrique. « Le lien qui tente d’être fait par certains entre l’obtention de ces concessions et les opérations de communication est dénué de tout fondement économique et révèle une méconnaissance lourde de ce secteur industriel », a-t-il affirmé.

Comme l’explique « le Monde », « les magistrats soupçonnent les dirigeants du groupe d’avoir utilisé leur filiale de communication Havas pour faciliter l’arrivée au pouvoir de dirigeants africains en assurant des missions de conseil et de communication sous-facturées. Et ce, dans un seul objectif : obtenir les concessions portuaires des lucratifs terminaux à conteneurs. » Ils auraient saisi de nombreux documents à l’occasion de perquisitions réalisées en avril 2016 au siège du groupe Bolloré à Puteaux (Hauts-de-Seine) qui laisseraient penser qu’une sous-facturation des prestations de Havas au bénéfice des dirigeants de ces deux pays aurait été réalisée, selon « le Monde ».

Au centre de l’enquête, initiée par une plainte d’un ancien associé franco-espagnol de Bolloré, Jacques Dupuydauby, se trouvent les conseils prodigués en 2010 par Havas lors des campagnes électorales victorieuses d’Alpha Condé en Guinée et de Faure Gnassingbé au Togo. Tous deux avaient eu recours aux activités de conseil de Havas, pilotées par Jean-Philippe Dorent. « Les concessions obtenues au Togo l’ont été en 2001, bien avant l’entrée du groupe dans Havas et en Guinée, en 2011, à la suite de la défaillance du n°1 (le groupe étant arrivé en seconde position lors de cet appel d’offres), défaillance constatée avant l’élection du président », a fait valoir le groupe Bolloré dans son communiqué. 

En Guinée, SDV avait obtenu la gestion du port de Conakry quelques mois après l’élection d’Alpha Condé en 2010. Dans le volet togolais, l’ancien associé de Vincent Bolloré, Jacques Dupuydauby, accuse la présidence togolaise d’avoir été corrompue par le groupe français. Dans son bras de fer judiciaire avec l’industriel breton, il a été condamné en Espagne à 3 ans et 9 mois de prison pour « détournement d’actifs » du groupe Bolloré. La cour d’appel de Paris doit se prononcer le 16 mai sur la demande d’extradition de Madrid. « Bolloré remplissait toutes les conditions d’appel d’offres. 

C’est un ami, je privilégie les amis. Et alors ? », avait expliqué Alpha Condé au journal « le Monde » en 2016, à propos de ce dossier. Comme le raconte « le Monde », c’est Jean-Philippe Dorent qui s’est occupé d’une partie de la campagne présidentielle guinéenne en 2010 pour le compte du candidat Alpha Condé. Ce dernier s’était lié d’amitié avec Vincent Bolloré lors de son exil parisien. Et au Togo, la filiale avait remporté le marché peu avant la réélection en 2010 de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005. C’est encore une fois Jean-Philippe Dorent qui s’est occupé d’une partie de la communication du président Gnassingbé. S’agissant de Conakry, Bolloré avait perdu sa bataille devant le tribunal de Nanterre face à Necotrans, l’ancien concessionnaire, et condamné en 2013 à lui verser plus de 2 millions d’euros. En juin 2017, Necotrans, spécialiste de la logistique en Afrique, a été placé en redressement judiciaire et racheté peu après par le groupe Bolloré.

Problèmes de gouvernance et d’âge ?

L’homme d’affaires français, milliardaire breton de 66 ans, encore aux commandes du groupe Bolloré, a récemment cédé les rênes de Vivendi. Il ne comptait pas rester 50 ans. C’était aussi la dernière assemblée qu’il présidait, a déclaré l’industriel lors de l’assemblée générale de Vivendi. Il a par ailleurs abandonné la présidence du conseil de surveillance de Canal Plus. En pratique, ce changement ne devrait pas modifier beaucoup les choses. Vincent Bolloré reste PDG du groupe éponyme, qui reste le premier actionnaire de Vivendi avec 22 % du capital. Il reste aussi membre du conseil de surveillance de Vivendi.

Cette annonce a tout de même surpris, car, si Vincent Bolloré promettait depuis longtemps de laisser un jour son poste à son fils Yannick, il n’avait jamais donné de date. Il a juste promis de quitter la direction du groupe Bolloré en 2022, pour ses 70 ans. Cette annonce est peut-être due aux réprimandes du Haut comité pour la gouvernance d’entreprise (HCGE), émanation de l’AFEP-MEDEF, qui critiquait la trop forte implication de Vincent Bolloré dans Vivendi – précisément, le fait qu’il se mêle de l’opérationnel alors que sa fonction (président du conseil de surveillance) est non opérationnelle. Fait rarissime, le HCGE avait critiqué publiquement cette situation dans son dernier rapport annuel, paru en octobre 2017: « le Haut comité s’est interrogé sur l’adéquation de la description des fonctions du président du conseil de surveillance de Vivendi selon le rapport annuel de cette société, et la réalité de ces fonctions telle qu’elle apparaît dans la relation des opérations conduites par le groupe. Au terme d’un dialogue avec la société Vivendi, le Haut comité a pris acte de ce que celle-ci s’engageait à définir ces fonctions et à améliorer sa communication sur ce point ».

Pire, selon le site les Jours, le HCGE avait écrit à Vincent Bolloré en janvier 2017 pour lui reprocher: « Il apparaît  que vous intervenez plus comme dirigeant exécutif qu’en tant que président du conseil de surveillance, chargé selon la loi de le convoquer et d’en diriger les débats. Cette impression est renforcée par l’influence que vous donne votre position de premier actionnaire de la société ». La lettre soulignait son « implication personnelle dans la conduite des affaires du groupe, tant internes qu’externes, et notamment dans des domaines qui pourraient relever des missions d’un conseil d’administration que d’un conseil de surveillance ». Elle déplorait aussi d’« autres déviations et manquements d’information » par rapport au code AFEP-MEDEF. Vincent Bolloré n’a jamais pu prendre de fonction opérationnelle chez Vivendi (président du directoire, par exemple) car le code du commerce permet d’être dirigeant opérationnel d’une seule société cotée en Bourse. Or Vincent Bolloré est déjà directeur général du groupe Bolloré.