Tous les spécialistes sont à peu près d’accord que le marché de l’automobile est cyclique. Et que nous sommes à la veille d’un retournement mondial de cycle après une période de demande très forte correspondant à une remise à niveau du parc.
Quand la demande se dérobe, expliquent-ils, les marges s’effondrent. Et dans ce cas de figure, les pays producteurs cherchent à se protéger. Décryptage : il faut donc s’attendre dans les prochaines années à un durcissement de la concurrence qui profitera aux entreprises qui maîtriseront le mieux leurs prix de revient et l’attractivité de leurs marques, préviennent-ils.
Première hypothèse en vue : comme lors de la crise de 2008, ils imaginent une contraction du nombre de marques. Par ailleurs l’innovation est coûteuse et le changement de modèle industriel, du tout thermique à l’hybride/électrique, et le changement de modèle commercial, de la pleine propriété au paiement à l’usage, apportent des changements structurels qui bouleversent une industrie conservatrice habituée aux progrès incrémentaux.
La taille restera donc un facteur capital de résilience. Les constructeurs européens, surtout français, devront poursuivre leur intégration mondiale, ce qui est programmé pour Renault mais reste encore incertain pour PSA/Opel. Toutefois, ces bouleversements annoncés restent encore très timides. L’électrique ne représente que 1 % du marché mondial et les hybrides 5 %.
En France en 2017, il s’est vendu 24 904 voitures électriques, pour 20 modèles, sur un volume de ventes total de 2 142 704, soit 1,16 % contre 1,08 % en 2016. La seule Renault Zoe représente 61 % des ventes. Ces chiffres ne progressent que très peu car l’offre reste marginale et peu soutenue par les réseaux. On voit plus de concepts cars que de véhicules attractifs pouvant déclencher une intention d’achat récurrente et générer un marché de l’occasion sain. Cela ne changera que si les prix des véhicules électriques baissent et l’autonomie augmente. Or ceci baisse par des investissements massifs, et un changement drastique de la réglementation, qui ne peuvent aujourd’hui venir que de la Chine.
Principale menace
La principale menace ne vient pas aujourd’hui des constructeurs lointains, mais de la transformation des usages, la voiture n’étant plus pour la majorité des utilisateurs urbains un sujet majeur d’intérêt affectif, mais un centre de coût, alors qu’elle reste indispensable pour les utilisateurs ruraux et péri-urbains. Mais il faut regarder ces mutations avec prudence, elles se font lentement et au rythme des décisions individuelles de renouvellement.
La compétition entre constructeurs est mondiale. Leur stratégie commerciale et industrielle ne peut être que mondiale et la Chine se trouve à l’épicentre de cette lutte. Les deux constructeurs français l’ont compris et s’attachent depuis vingt ans à trouver des solutions à l’exiguïté du marché européen où ils se sont développés. PSA est allé très tôt en Chine avec Citroën et dispose d’une capacité de production de 1,2 million de véhicules mais n’en a vendu que 387 000 en 2017 contre 742 000 en 2014.
Renault a d’abord misé sur le low-cost en développant avec succès sa marque d’entrée de gamme Dacia, et a trouvé grâce à l’Alliance avec Nissan les moyens de développer une stratégie internationale globale. On peut dire que Renault a brillamment réussi en 2017, année où l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi s’est hissé en tête du palmarès mondial sans avoir encore l’outil industriel intégré nécessaire pour tirer durablement parti de ce succès. Les résultats de Renault en Chine sont encore faibles, son implantation industrielle ne datant que de 2016. Les résultats de PSA, en amélioration forte en 2017, restent bridés par son positionnement géographique trop européen que ne corrige en rien le rachat opportuniste d’Opel. Toutefois une cible de 4 millions de véhicules pour 2018 est imaginable.
L’Allemagne a fait de la Chine son premier marché et y a investi massivement depuis les années quatre-vingt. Fort de cette structure industrielle, les constructeurs allemands comptent faire de la Chine leur base industrielle mondiale et par là renforcer leur position concurrentielle, puisque leur rentabilité en Chine permettra de financer leur R&D pour imaginer la nouvelle génération de véhicules, électriques, connectés et autonomes. Ils ont d’ailleurs immédiatement réagi à l’orientation du gouvernement chinois en annonçant le lancement de très nombreux véhicules électriques. Volkswagen prévoit d’investir dix milliards d’euros pour produire 40 modèles de véhicules électriques dans au moins six usines. Et annonce le lancement d’une marque de véhicule électrique, SOL. BMW va y construire pour le marché mondial son SUV électrique X3.
Il faut souligner l’excellente performance des équipementiers français en Chine où Valeo, Faurecia, Plastic Omnium enregistrent des croissances à deux chiffres de leur chiffre d’affaires, grâce notamment à leurs clients chinois qui, montant en gamme et en fiabilité, ont besoin de leurs technologies. Valeo réalise plus du tiers de son chiffre d’affaires en Chine avec les constructeurs locaux.
Un marché conservateur
Le marché automobile demeure conservateur. Clients et constructeurs bougent lentement malgré la pression constante des pouvoirs publics pour discipliner l’usage de l’automobile individuelle au profit d’une stratégie de mobilité multimodale. Cette partie de bras de fer, source d’incompréhensions et de frustrations, n’a pas de raison de cesser tant l’automobile reste pour la plupart un fort symbole de liberté individuelle au-delà de tout calcul économique et sociétal. La voiture électrique n’a pas encore conquis le cœur du marché et reste contestée tant pour son rapport coût/valeur que pour sa contribution réelle à l’environnement sur son cycle de vie complet. Mais si l’électrification a conquis en un siècle tous les marchés, sauf l’automobile, l’innovation du XXIe siècle sera sans nul doute un basculement technique de l’automobile vers l’électrique, hybride, à batteries ou à pile à combustible à hydrogène, l’omni-connectivité et l’autonomie que l’on peut imaginer à partir de 2030