Pourquoi la ZES pilote de Maluku n’est pas encore opérationnelle

Le Conseil des ministres a décidé de lever les « quelques obstacles » juridiques et financiers qui retardent la mise en œuvre de la Zone économique spéciale de Maluku. À terme, il s’agit d’attirer les investisseurs et soutenir la croissance économique génératrice d’emplois, ainsi que de réduire la pauvreté.

LE DÉCRET du 1ER Ministre accordant des avantages aux entreprises qui vont s’installer dans la Zone économique spéciale (ZES) de Maluku a été signé. En vertu de ce décret, les travaux d’aménagement devaient déjà commencer, puis les entreprises vont être mobilisées, avait indiqué Julien Paluku Kahongya, le ministre de l’Industrie. Par ailleurs, la société Strategos a été désignée aménageur de la Zone économique spéciale (ZES) de Maluku. Le contrat d’aménagement a été signé en janvier dernier à Kinshasa par Auguy Bolanda, le chargé de mission de l’Agence des zones économiques spéciales (AZES), et par Luc Gérard Nyafe, le directeur général de Strategos Group. 

Cette société s’est engagée à réaliser le travail d’aménagement pour environ 126 millions de dollars, dont 25 millions comme apport du gouvernement. En juin 2019, l’AZES annonçait le contrat avec Strategos Group et faisait savoir que celle-ci « avait respecté toutes les procédures » du processus compétitif lancé en 2017. Selon Alain Lungungu Kisoso, le coordonnateur national de la Cellule d’exécution des financements en faveur des États fragiles (CFEF), le processus de sélection de l’aménageur a suivi toutes les étapes, bénéficié de l’appui d’un conseiller indépendant en transaction et des avis consultatifs favorables des services de la Banque mondiale. 

L’avis à manifestation d’intérêt avait été publié le 19 décembre 2018. Sept candidatures avaient été enregistrées. C’est donc au terme de ce processus que la CFEF a sélectionné Strategos Group en qualité d’aménageur de la ZES pilote de Maluku. L’AZES précisait que c’est dans le cadre de la mise en œuvre de la composante 2 du Projet de développement des pôles de croissance ouest, financé par la Banque mondiale, que le recrutement a été fait. Et que celui-ci a bénéficié de l’appui d’un conseil en transactions de réputation internationale.

Conflit d’intérêt ?

Strategos Group devient donc le partenaire du gouvernement pour attirer les investisseurs vers la ZES pilote de Maluku pour soutenir la croissance économique et créer des emplois. La société est censée y aménager les infrastructures physiques et fournir les services mutualisables dans un espace foncier sécurisé de 211 ha. Pour cela, elle bénéficie d’un cadre légal attractif et des procédures administratives simplifiées, notamment pour assurer l’animation managériale de la ZES par la commercialisation des droits d’occupation de différents terrains parcellisés destinés à développer les activités économiques, et fournir de différents services aux opérateurs économiques.

Strategos Group est connu comme une holding internationale de droit colombien ayant son siège à Bogota. Ses filiales opèrent dans les domaines de la finance, de la santé, de l’énergie, des infrastructures, de l’agro-industrie, des mines et des technologies de l’information et de la communication (TIC). Dans le cahier des charges, il est dit que Strategos Group mettra en place une structure juridique ad hoc sous la forme d’une société commerciale de droit congolais dans le cadre d’un Special Purpose Vehicle (SPV), conformément au décret n°15/007 du 14 avril 2015 et à l’article 12 de la loi n°14/022 du 7 juillet 2014 fixant le régime des ZES en RDC. 

Seulement, voilà que Luc Gérard Nyafe, le patron de cette société, a été nommé au poste officiel d’ambassadeur itinérant de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le chef de l’État. Le directeur général de Strategos Group se défend de tout conflit d’intérêt. Sur Twitter, il affirmait que sa société a gagné le marché en toute légalité, avant même qu’il ne soit nommé à son poste officiel d’ambassadeur itinérant du chef de l’État.

L’AZES est un établissement public à caractère administratif et technique créé par le décret n°15/07 du 14 avril 2015. Elle est dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, et est placée sous la tutelle du ministère de l’Industrie. La mission de l’AZES est d’aider à augmenter et accélérer les investissements industriels en RDC. Au forum sur la réforme de la fiscalité en RDC, Nepanepa, l’adjoint du chargé de mission de l’AZES, avait brossé un état des lieux de son organisme. D’après lui, la fiscalité joue un rôle majeur dans l’attrait des investissements. 

Et d’expliquer qu’elle constitue un levier qui influe directement et de manière positive ou négative sur les investissements. « Une fiscalité bien articulée aura donc tendance à encourager les investisseurs alors qu’une mauvaise fiscalité tendra plutôt à les décourager, à les repousser ou même à les déporter », pose-t-il. En adoptant la stratégie des ZES, le gouvernement a voulu justement répondre à la question : comment augmenter et accélérer les investissements en RDC ? D’après Nepanepa, l’état et le niveau actuel des investissements sont le reflet des politiques qui sont déjà en cours en matière de promotion des investissements, avec le cadre et les instruments déjà en place. En s’appuyant sur la stratégie des ZES, l’État congolais voudrait peaufiner davantage sa politique en matière d’attrait des investissements.

Un régime particulier

Une ZES est, par définition, un espace bénéficiant d’un régime juridique particulier qui le rend plus attractif pour les investissements nationaux et étrangers. Selon le code des douanes (art 254), c’est tout espace, géographiquement limité, dans lequel les lois économiques sont plus libérales, c’est-à-dire plus avantageuses pour les entreprises que celles pratiquées en vertu du droit commun. 

La mise en place des ZES en répond à l’urgence de doter le pays des infrastructures industrielles par l’instauration des mesures incitatives fiscales et administratives susceptibles de favoriser l’implantation des projets d’investissements nationaux et l’attrait des investissements directs étrangers. Le code des douanes (20 août 2010) a aussi prévu certaines dispositions relatives aux ZES en RDC. 

Du point de vue institutionnel, la loi fixant régime des ZES en RDC a institué l’AZES comme l’Autorité de régulation des ZES. L’agence a pour mission d’assurer l’administration, la régulation, le contrôle ainsi que le suivi des activités ayant trait à l’aménagement et à la gestion des ZES en RDC. Elle est seule compétente pour octroyer le statut de ZES aux sites indiqués. Elle agit par voie de décision (acte administratif). 

Après l’octroi du statut de ZES, l’AZES signe avec l’aménageur-investisseur un contrat d’aménagement qui déterminera les avantages fiscaux, parafiscaux et douaniers concernés pour la réalisation de cet investissement. La loi dispose que ce contrat doit obtenir l’approbation préalable des ministres des Finances et de l’Industrie qui le présentent devant le Parlement au cours d’une session ordinaire (art 32).